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Nous n'en aurons donc jamais fini avec
l'impérialisme sur le beau sol de France? Après les Romains,
après les troupes allemandes, c'est l'Empire américain qui
déferle sur notre territoire. Oh, bien sûr, vous ne verrez
pas de sitôt les GIs défiler sur les Champs. Car le monde
a changé en même temps que nous changions d'ère: l'invasion
est devenue culturelle, elle est mentale. Et les yankees
n'ont rien trouvé de mieux que de nous envahir par le plus populaire
et le plus industriel des arts, le cinéma.
Nous avons déjà consacré un
article sur les mérites comparés des cinémas américain
et français (ou plus exactement, européen). La conclusion
s'imposait: le cinéma français est à cent coudées
au-dessus de son rival, mais s'il n'attire presque personne c'est qu'aux
boursouflures des blockbusters il préfère l'authenticité
des situations sociales et intimes. Et comme chacun sait, la qualité
ne paie pas toujours: le site internet de
TF1 continue inexorablement à grignoter les parts de fréquentation
du site du Journal des Savants.
Ici, il s'agit moins d'insister sur la différence de qualité
(évidente) entre les deux cinématographies, que de définir
les tactiques de riposte. Car c'est à un véritable Art
de la guerre du cinéma qu'il faut que nous accordions notre
attention. L'expérience guevariste d'un Régis Debray pourrait
bien, ici aussi, nous être de la plus haute utilité. Relisons
Sun Tzu, relisons Clausewitz: "La guerre ne se gagne qu'à condition
de ne pas perdre", "Une bataille gagnée ne fait pas encore
une guerre gagnée, mais pas une guerre perdue non plus, sauf exception",
"Si tu veux la paix, prépare-la au lieu de te tourner les pouces",
"Guerre et paix sont inextricablement liées aussi bien que yin
et yang ou fromage et dessert", ou encore "Deux belligérants
ont coutume de se battre jusqu'à ce que l'un au moins perde".
Toute la sagesse des siècles passés (polémologie)
et à venir (médiologie) nous sera nécessaire si nous
tenons à gagner, et d'abord à ouvrir explicitement les hostilités.
La suggestion la plus simple serait bien sûr de boycotter les
films américains. Mais cette réponse se heurte à des
obstacles délicats. D'abord, il est difficile d'entraîner
beaucoup de monde dans cette contrainte. On pourrait bien sûr songer
à mener une courte campagne terroriste dans les salles les plus
américanisées, afin de créer une saine prudence dans
la population. Mais il est à craindre que cette pratique renforcerait
le prestige des Ricains, et c'est ce que nous cherchons à éviter.
Rappelons qu'il s'agit d'une guerre psychologique, comme on dit
dans la Zizanie. En outre, nous ne voyons guère de raison
de nous priver des films américains. Il faut les voir, pour connaître
nos ennemis. C'est la raison pour laquelle j'ai personnellement vu trois
fois la Plage, et je crois que ça m'a aidé pour trouver
des tactiques et des ruses de guerre. Idem pour Star Wars épisode
1, le Sixième sens et quelques autres. En revanche, je
me suis dispensé d'aller voir Ressources humaines, pour ne
pas laisser perturber mes instincts belliqueux par la vision de la beauté
pure et de l'intelligence sociale suprême.
Le boycott est donc non seulement peu envisageable, mais pourrait bien
être nuisible à notre cause (sans parler de notre divertissement).
Dans l'attente d'une meilleure solution, qui viendra aussi de vous, lecteurs,
nous nous proposons de dresser de temps à autre la liste ici même,
et très courageusement, de toutes les horreurs américaines
à succès qui sont sur nos écrans, et qu'il faudra
donc aller voir, la mort dans l'âme, pour cogiter nos actions futures,
ainsi que la liste des petits bijoux français sensuels, délicats,
et qui parlent de nos situations contemporaines comme seule la France moderne
sait le faire, qu'il faudra donc ne pas aller voir pour ne surtout pas
se laisser amollir.
Aussi, si vous avez une idée sur d'autres actions contre
l'impérialisme américain en matière de cinéma
et pour le cinéma d'auteurs français de qualité
produit par Arte et Canal+, n'hésitez
pas à nous écrire. N'oubliez pas de mentionner aussi
les odieux films américains que vous comptez aller voir. Pour les
somptuosités françaises dont on devra se priver, je me débrouillerai. |
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