CINEMA :
LES SCANDALES D'HOLLYWOOD
par Entropeuf,
Adjoint de Franck Nouchi aux Cahiers du Cinéma et au CNTS,
Rosetta (mais nous en sommes tous).
 
  Nous n'en aurons donc jamais fini avec l'impérialisme sur le beau sol de France? Après les Romains, après les troupes allemandes, c'est l'Empire américain qui déferle sur notre territoire. Oh, bien sûr, vous ne verrez pas de sitôt les GIs défiler sur les Champs. Car le monde a changé en même temps que nous changions d'ère: l'invasion est devenue culturelle, elle est mentale. Et les yankees n'ont rien trouvé de mieux que de nous envahir par le plus populaire et le plus industriel des arts, le cinéma.

Nous avons déjà consacré un article sur les mérites comparés des cinémas américain et français (ou plus exactement, européen). La conclusion s'imposait: le cinéma français est à cent coudées au-dessus de son rival, mais s'il n'attire presque personne c'est qu'aux boursouflures des blockbusters il préfère l'authenticité des situations sociales et intimes. Et comme chacun sait, la qualité ne paie pas toujours: le site internet de TF1 continue inexorablement à grignoter les parts de fréquentation du site du Journal des Savants

Ici, il s'agit moins d'insister sur la différence de qualité (évidente) entre les deux cinématographies, que de définir les tactiques de riposte. Car c'est à un véritable Art de la guerre du cinéma qu'il faut que nous accordions notre attention. L'expérience guevariste d'un Régis Debray pourrait bien, ici aussi, nous être de la plus haute utilité. Relisons Sun Tzu, relisons Clausewitz: "La guerre ne se gagne qu'à condition de ne pas perdre", "Une bataille gagnée ne fait pas encore une guerre gagnée, mais pas une guerre perdue non plus, sauf exception", "Si tu veux la paix, prépare-la au lieu de te tourner les pouces", "Guerre et paix sont inextricablement liées aussi bien que yin et yang ou fromage et dessert", ou encore "Deux belligérants ont coutume de se battre jusqu'à ce que l'un au moins perde". Toute la sagesse des siècles passés (polémologie) et à venir (médiologie) nous sera nécessaire si nous tenons à gagner, et d'abord à ouvrir explicitement les hostilités.

La suggestion la plus simple serait bien sûr de boycotter les films américains. Mais cette réponse se heurte à des obstacles délicats. D'abord, il est difficile d'entraîner beaucoup de monde dans cette contrainte. On pourrait bien sûr songer à mener une courte campagne terroriste dans les salles les plus américanisées, afin de créer une saine prudence dans la population. Mais il est à craindre que cette pratique renforcerait le prestige des Ricains, et c'est ce que nous cherchons à éviter. Rappelons qu'il s'agit d'une guerre psychologique, comme on dit dans la Zizanie. En outre, nous ne voyons guère de raison de nous priver des films américains. Il faut les voir, pour connaître nos ennemis. C'est la raison pour laquelle j'ai personnellement vu trois fois la Plage, et je crois que ça m'a aidé pour trouver des tactiques et des ruses de guerre. Idem pour Star Wars épisode 1, le Sixième sens et quelques autres. En revanche, je me suis dispensé d'aller voir Ressources humaines, pour ne pas laisser perturber mes instincts belliqueux par la vision de la beauté pure et de l'intelligence sociale suprême.

Le boycott est donc non seulement peu envisageable, mais pourrait bien être nuisible à notre cause (sans parler de notre divertissement). Dans l'attente d'une meilleure solution, qui viendra aussi de vous, lecteurs, nous nous proposons de dresser de temps à autre la liste ici même, et très courageusement, de toutes les horreurs américaines à succès qui sont sur nos écrans, et qu'il faudra donc aller voir, la mort dans l'âme, pour cogiter nos actions futures, ainsi que la liste des petits bijoux français sensuels, délicats, et qui parlent de nos situations contemporaines comme seule la France moderne sait le faire, qu'il faudra donc ne pas aller voir pour ne surtout pas se laisser amollir. 

Aussi, si vous avez une idée sur d'autres actions contre l'impérialisme américain en matière de cinéma et pour le cinéma d'auteurs français de qualité produit par Arte et Canal+, n'hésitez pas à nous écrire. N'oubliez pas de mentionner aussi les odieux films américains que vous comptez aller voir. Pour les somptuosités françaises dont on devra se priver, je me débrouillerai.

 

revenir au sommaire du numéro 9

revenir à la page de présentation

aller aux archives