Mondialisation à la sauce yankee
Un regret cependant: d'où vient la prudence des programmateurs?
Comment comprendre qu'un film-opus comme celui de la jeune Mlle
Lvovsky ne sorte que dans 13 salles parisiennes, alors qu'on peut s'attendre
à une déferlante américaine à l'occasion de
la prochaine sortie de la dernière crétinerie guerrière
des étoiles? Encore un signe de cette mondialisation qui ne s'embarrasse
guère des exceptions bien françaises. Nous ne savons que
trop à quoi nous en tenir après les campagnes d'abrutissement
organisées par les conglomérats Disney-Lucas-Spielberg (ce
dernier sachant parfois se racheter d'un Jurassik Park par un poignant
Schindler). Et pour un génie (Français de tempérament)
tel que Woody Allen, combien de simples auteurs de sitcoms ou de clips
étirés en longueur? Les majors hollywoodiennes ne
jurent plus depuis bien longtemps que par Coca-Cola, Nike et McDo, tandis
que nos esthètes introvertis hexagonaux s'arc-boutent sur les données
qui nous structurent, en autant de caractéristiques radicales prétendument
dépassées du point de vue des gnômes zurichois, bruxellois
ou onusiens. Au lieu de l'imagination plate de la science-fiction, nos
jeunes auteurs français s'attachent à décrypter notre
misère quotidienne et les germes des prochains conflits sociaux
(la vie de Jésus). Au lieu de success stories qui
promeuvent les vertus du libéralisme sauvage, ils explorent les
méandres de l'inconscient (le Journal du séducteur).
Au lieu de love stories stéréotypées, ils nous
offrent le portrait complexe d'une jeune génération en révolution
sexuelle permanente (les Nuits fauves, Irma Vep, Romance,
les Aventures de Babar). Au lieu de Kentucky Fried Chicken
et de milk-shakes, c'est du roquefort et de la soupe qu'ils mangent
(Mange ta soupe). On n'en finirait pas d'énumérer
ce qui distingue, à tous égards, la production yankee
de nos joyaux nationaux.
A bout de souffle?
On prétendra peut-être que tous ces opus jeunes
et convaincants manquent parfois de souffle, et certains s'avouent lassés
de retrouver chaque semaine Jeanne Balibar dans un nouveau rôle de
jeune Parisienne lettrée, bien intégrée socialement,
mais souffrant intérieurement de quelque béance secrète.
Répondons à ces piètres critiques que le jeune cinéma
français n'est pas d'un bloc, et que l'ambition y côtoie la
recherche intimiste. Qu'on songe au grand film du cinéaste Chilien
R.Ruiz, le Temps retrouvé. Cette superproduction européenne,
qui cause français, et réalisée par un cinéaste
étranger mais que tout (culture, jeunesse, références,
goûts culinaires) unit à notre pays, n'est pas sans rappeler
certains des derniers opus de T.Angelopoulos et de N.Mikhalkov (grand
spectacle, distribution éblouissante, durée supérieure
à 150 minutes, couchers de soleil, etc), et peut aisément
se mesurer à n'importe quel Truman show ou autre divertissement
aimable et vain. Car quoi qu'on en dise, nous autres, Européens
d'origine française, et jeunes au moins jusqu'à 68 ans, nous
nous distinguerons jusque dans ce qui fait l'apanage des Américains
par le mieux-disant culturel, dont nous témoignons aussi
bien dans nos films que dans le choix des revues que nous laissons négligemment
traîner dans les lieux d'aisance (Télérama,
Cahiers du cinéma, Inrockuptibles, la Vie du Rail).
Et puis n'oublions pas que ce sont bien eux, les jeunes cinéastes
français, qui lancèrent jadis ce grand mouvement de pétitions
corporatistes pour défier l'infâme Debré et ses lois
scélérates.
Enfin, notre article de fond ne serait pas complet si nous négligions
de poser la seule question qui pourrait encore tourmenter les jeunes critiques
de cinéma de Libération et du Monde:
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