CINEMA:
RAJEUNISSEMENT CINEMATOGRAPHIQUE AU SEIN DU JEUNE CINEMA FRANCAIS

par Englouteuf Baloche,
Titulaire d'un DUT de Plomberie sur zinc (Gif-sur-Yvette)



Nouvelle nouvelle vague
On le disait moribond, et chaque semaine nous apporte son lot d'opus rafraîchissants de nos nouveaux Maîtres. Tous les mercredis, un nouveau chef-d'oeuvre made in France sort sur les écrans. Cette fois, c'est la jeune Mlle Lvovsky qui nous éblouit par son talent et sa maîtrise (la Vie ne me fait pas peur). Son film, déjà couvert de récompenses, mérite bien les torrents d'articles qui crient au génie, mais comme d'habitude, cette campagne juste se fait au détriment de films qui méritent tout autant de lauriers. Comme le disait le regretté J-F.Lyotard, "le film qu'on caresse, jouissance!, c'est celui qui -caressera ceusses qui sortent le même jour. D'où l'alternative: encenser tous, ou recenser quelques-uns - prendre date, radicale postérité qui nous laissent indécis ou décidés (dramatiquement)" (le Différend, p.587). Pour notre part, nous suivons le grand philosophe post-moderne, et nous appelons à une post-critique qui dira l'état du cinéma français, qui en pensera et articulera indistinctement les caractères: tous géniaux, tous jeunes, tous des opus, tous radicaux et tous d'inspiration godardo-bressonienne.

Mondialisation à la sauce yankee
Un regret cependant: d'où vient la prudence des programmateurs? Comment comprendre qu'un film-opus comme celui de la jeune Mlle Lvovsky ne sorte que dans 13 salles parisiennes, alors qu'on peut s'attendre à une déferlante américaine à l'occasion de la prochaine sortie de la dernière crétinerie guerrière des étoiles? Encore un signe de cette mondialisation qui ne s'embarrasse guère des exceptions bien françaises. Nous ne savons que trop à quoi nous en tenir après les campagnes d'abrutissement organisées par les conglomérats Disney-Lucas-Spielberg (ce dernier sachant parfois se racheter d'un Jurassik Park par un poignant Schindler). Et pour un génie (Français de tempérament) tel que Woody Allen, combien de simples auteurs de sitcoms ou de clips étirés en longueur? Les majors hollywoodiennes ne jurent plus depuis bien longtemps que par Coca-Cola, Nike et McDo, tandis que nos esthètes introvertis hexagonaux s'arc-boutent sur les données qui nous structurent, en autant de caractéristiques radicales prétendument dépassées du point de vue des gnômes zurichois, bruxellois ou onusiens. Au lieu de l'imagination plate de la science-fiction, nos jeunes auteurs français s'attachent à décrypter notre misère quotidienne et les germes des prochains conflits sociaux (la vie de Jésus). Au lieu de success stories qui promeuvent les vertus du libéralisme sauvage, ils explorent les méandres de l'inconscient (le Journal du séducteur). Au lieu de love stories stéréotypées, ils nous offrent le portrait complexe d'une jeune génération en révolution sexuelle permanente (les Nuits fauves, Irma Vep, Romance, les Aventures de Babar). Au lieu de Kentucky Fried Chicken et de milk-shakes, c'est du roquefort et de la soupe qu'ils mangent (Mange ta soupe). On n'en finirait pas d'énumérer ce qui distingue, à tous égards, la production yankee de nos joyaux nationaux.

A bout de souffle?
On prétendra peut-être que tous ces opus jeunes et convaincants manquent parfois de souffle, et certains s'avouent lassés de retrouver chaque semaine Jeanne Balibar dans un nouveau rôle de jeune Parisienne lettrée, bien intégrée socialement, mais souffrant intérieurement de quelque béance secrète. Répondons à ces piètres critiques que le jeune cinéma français n'est pas d'un bloc, et que l'ambition y côtoie la recherche intimiste. Qu'on songe au grand film du cinéaste Chilien R.Ruiz, le Temps retrouvé. Cette superproduction européenne, qui cause français, et réalisée par un cinéaste étranger mais que tout (culture, jeunesse, références, goûts culinaires) unit à notre pays, n'est pas sans rappeler certains des derniers opus de T.Angelopoulos et de N.Mikhalkov (grand spectacle, distribution éblouissante, durée supérieure à 150 minutes, couchers de soleil, etc), et peut aisément se mesurer à n'importe quel Truman show ou autre divertissement aimable et vain. Car quoi qu'on en dise, nous autres, Européens d'origine française, et jeunes au moins jusqu'à 68 ans, nous nous distinguerons jusque dans ce qui fait l'apanage des Américains par le mieux-disant culturel, dont nous témoignons aussi bien dans nos films que dans le choix des revues que nous laissons négligemment traîner dans les lieux d'aisance (Télérama, Cahiers du cinéma, Inrockuptibles, la Vie du Rail). Et puis n'oublions pas que ce sont bien eux, les jeunes cinéastes français, qui lancèrent jadis ce grand mouvement de pétitions corporatistes pour défier l'infâme Debré et ses lois scélérates.
Enfin, notre article de fond ne serait pas complet si nous négligions de poser la seule question qui pourrait encore tourmenter les jeunes critiques de cinéma de Libération et du Monde:


Nom de Dieu, qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire, opus???

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