SOCIETE :
L'ECOLE, LIEU DE VIE ET DE CONVIVIALITE
par Michèle,
Militante anti-Jörg Haider,
Dragon de garde



 
On la disait finie, moribonde ou tout simplement out. L'école, puisqu'il s'agit d'elle, concentre depuis bien longtemps les critiques (de la part de personnes pas toujours très progressistes, il faut l'avouer). Régulièrement, les unes accrocheuses de nos confrères du Nouvel observateur ou du Monde font monter l'inquiétude dans la population, et tout parent d'élève s'interroge gravement le soir venu, se morfondant : est-ce que vraiment Kimberley, est-ce que vraiment Joschka ne vont pas trouver à se caser dans une maternelle du Ve arrondissement afin d'intégrer sans problème Sup' de Co' Nantes? Est-ce franchement obligatoire qu'ils se fassent voler à la sortie leurs superbes blousons et leurs paires de chaussettes que j'ai achetés pour une bouchée de kilofrancs aux dernières soldes? Est-il vrai, enfin, que le mieux qu'ils puissent espérer pour enseignement consiste en la lecture du dernier roman d'Alexandre Jardin et la projection en boucle du Jour et la Nuit de Bernard-Henri Lévy? 

Tant de souffrances muettes méritent qu'on s'y arrête et qu'on y réponde point par point.
 

Elitisme et panne de l'ascenseur social
 
Depuis "les Héritiers" du prophète Philippulus Bourdieu, il est de bon ton de prétendre que l'école ne participe plus à l'ascension sociale. On entend dire que les idéaux de la Troisième République sont ridiculisés par ceux qui s'en prétendent les tenants. Régulièrement, nous sommes assaillis de statistiques tendant à nous inculquer cette idée reçue : les meilleurs diplômés descendent des meilleurs diplômés, et chaque génération pérennise le découpage en classe sociale. RIEN N'EST MOINS VRAI!! Allez dans les écoles, messieurs les catastrophistes. Vous y verrez d'authentiques fils d'ouvrier pas forcément à la remorque de chacun des fils de PDG. Vous verrez que les petits ouvriers ont toutes leurs chances, en particulier de suivre les traces de leur papa chéri si jamais l'usine n'a pas trop débauché.
Quant aux petits de dirigeants, ils triment comme tout un chacun. Et ce n'est certainement pas parce que papa leur a offert pour leur anniversaire un paquet d'obligations et une minorité de blocage au conseil d'administration de France Télécom qu'ils se sentent forcément plus à l'abri. Au contraire : le moindre soubresaut du Cac leur donne des frissons de nausée, et le bulletin de Jean-Pierre Gaillard qu'ils écoutent sur leur baladeur les empêche de suivre sereinement le cours de musique tamoule. Ce qu'on prend pour une faveur peut parfois tourner en un étrange handicap.
 
Incivilités des enfants sauvageons 

Qui a lancé le premier cette attaque odieuse ? Qui a donc, avant quiconque, agité le chiffon rouge du dénigrement, exacerbé la haine, remué la tourbe vichyssoise d'où sortirent Gengis Khan et Maurice Papon ? Nul ne le sait. Restent les faits. "Dénigrez, dénigrez, il en restera toujours quelque chose" a écrit le Poète. Et on aurait envie d'ajouter : ça c'est bien vrai, et c'est franchement dégueu. Ces faits qui subsistent, ils sont accablants. Car il en faudrait, des articles de Laurent Joffrin et d'Alain Duhamel, pour les analyser paisiblement et les déboulonner les uns après les autres. Mais que peuvent les braves gens d'aujourd'hui ? Les journalistes d'idées fortes sont politiquement incorrects, dérangeants et impertinents dans notre époque de bien-pensance et de bonne-gouvernance. Il ne faut donc rien attendre des penseurs de talent qui osent encore avancer des idées à rebours du Zeitgeist. Contentons-nous d'énoncer un certain nombre de vérités qui passent de plus en plus mal au pays des Français moisis.
 

Non, les enfants ne sont pas des sauvageons! Les enfants de 6 à 28 ans se démènent tant qu'ils peuvent au milieu d'une société dure et ultra-libérale. Les solutions qu'ils proposent ? Un peu plus d'humanité, de hip-hop et de blousons Chevignon. Quoi de plus naturel, en même temps que de sympathiquement humble ? On ne voit plus de ces Rastignac sordides, de ces prétentieux ruminant d'être "Chateaubriand ou rien", de ces nés vieux enfin, dévorés dès le berceau d'une ambition malsaine mâtinée d'un individualisme inquiétant. Désormais, on ne croise plus que des enfants habillés tous pareils, écoutant les mêmes musiques, allant voir les mêmes films et trouvant que l'humour des Guignols de l'Info est "intelligent à 84%". Rien à voir avec les pourritures ambulantes et terriblement uniques en leur genre qui infestèrent jadis nos rues.
Non les enfants ne sont pas violents! Car c'est à une violence première de la société marchande et capitaliste que leur cri-désespoir répond. Que les messieurs de Davos et Seattle s'interrogent un instant sur leurs responsabilités. Quand le petit Mouammar poignarde le jeune Ali, quand la jeune Émilie-Oriane extorque le sachet de Choupachoups que vient de voler sa camarade Adélaïde-Eulalie, quand le petit Pablo est projeté du haut d'un escalier du lycée par les petits Rachid, Jean-Hervé et Louis-Kevin, il serait sérieusement temps qu'on songe à inculper messieurs Camdessus, Trichet et Greenspan réunis.
Non les enfants ne sont pas incivils! Ils sont les premiers à manifester les premiers réflexes citoyens. Une enquête menée par Jean-Paul Besset pour le journal le Monde l'a récemment montré exemplairement. Des enfants entre 16 et 23 ans d'une classe de troisième du collège Dulcie-September (Ivry) étaient invités à assister à une conférence sur la situation de l'Autriche, après l'entrée au gouvernement des ministres nazis. La conférence consistait en la lecture d'un certain nombre d'articles de presse récente, interrompue par la projection de l'œuvre maîtresse du professeur Lanzmann, Shoah. Interrogés à la sortie par le journaliste selon un protocole expérimental établi par une équipe reconnue de sociologues et de sondagiers, les enfants ont jugé à 90% que les nazis avaient été "de vrais salopards", que la mort "c'est vachement moche" (78%), que les camps de concentration"plus jamais ça" (95%), et que l'Autriche "c'est où?" (99%). Qu'on ne vienne pas nous rebattre (ni nous rabattre) les oreilles avec les poncifs sur le désengagement des jeunes : jamais sans doute, depuis la manifestation pour l'abolition des parasols dans les cimetières de Carpentras, les enfants n'ont été aussi vigilants.
Déliquescence de l'enseignement

C'est l'ultime poncif des grincheux : l'école n'est plus ce qu'elle était, le niveau baisse, et le bac est bradé. FAUX!! Et nous le prouverons par l'énumération de ce qui subsiste des trois savoirs fondamentaux que sont la lecture, l'écriture et le calcul.
 

Lecture
Le sociologue Christian Baudelot nous a récemment démontré qu'il n'en était rien. Dans son livre "Et pourtant, ils lisent", l'homme de science presque exacte affirme, statistiques à l'appui, que jamais sans doute les adolescents n'ont autant lu que dans la période actuelle. "J'ai personnellement un fils de 15 ans. Eh bien, tous les matins avant de partir à l'école pour son cours de contraception, il dévore la notice des corn flakes pendant qu'il les mange. Parfois, j'ai même remarqué qu'il lisait jusqu'à leur composition. M'étonnerait bien que Stendhal ou Rousseau en aient fait autant si précocemment!" On peut légitimement en douter. Mais le docteur Baudelot va plus loin dans son étude: ne s'arrêtant pas seulement aux enfants de son entourage le plus direct, il a mené son enquête auprès d'une population représentative de quelques poignées d'élèves. Sa conclusion se passe de commentaire: "si on compte tout tout tout ce qu'ils lisent, panneaux publicitaires, marques sur les jeans et les blousons, pochettes de CD et tout le reste, on arrive facilement à un total de plus de 300 lettres par heure. Et sans pause, je vous prie! Même à midi ils lisent : sachets de twix, emballage de la magicbox de McDonald, lettres sur les boutons de leur console de jeu. Non mais vous savez, ce qu'on entend sur la fin de la lecture, c'est du blabla conservateur, réactionnaire, à la limite pétainiste. Surtout à l'heure d'Internet! N'importe quoi..."
Ecriture
Le Journal des Savants est là pour montrer que de tout petits êtres savent encore écrire. Et je peux témoigner que toutes mes idées que je développe à l'aide d'un talent peu commun, c'est à l'école que je les dois. Je veux parler de l'École Moche mais Pratique des Hautes Études, où j'ai le bonheur d'enseigner depuis de longues années au pied de la machine à café.
Calcul
Que le calcul disparaisse ne serait pas une mauvaise chose en soi. Non à la dictature des maths, ils privent la nation de petits génies bridés par une sélection infernale au nom d'une matière inhumaine! Non aux ravages de la technoscience qui font périr la planète parce qu'on n'a pas changé sa couche d'ozone dès qu'elle l'a eu souillée! 
Cependant, et pour ne pas totalement me contredire, soulignons que les connaissances en mathématiques n'ont jamais été aussi grandes qu'aujourd'hui. La preuve en est que tout journaliste sait glisser dans son article les données d'un sondage ou d'une courbe économique, et l'utiliser dans un commentraire de son goût. Or, si le lisier produit de belles plantes, que sera-ce d'un bon terreau ? Même pour les matières sataniques, l'école continue d'officier, et de relever encore et toujours son niveau. 
Ma conclusion
Pour finir sur une note moins triste, soulignons les authentiques vertus de l'institution scolaire: ouverte sur le monde, c'est par elle que peut se faire le métissage. Véritable lieu d'intégration par ses cours de sport, elle donne à tous les enfants une part de rêve: eux aussi, grâce au sport, pourraient bien terminer au Stade de France en face du Président Jospin leur remettant la Coupe! Et puis, l'école inculque les véritables valeurs citoyennes: respect des différences, code de la route, pilule abortive, cours contre le bizutage et la drogue prise en public, spectacles vivants auprès desquels le Puy du Fou du sinistre Vicomte fait pâle figure, mise en garde contre la montée de l'extrême droite de Tixier-Vignancourt, exaltation de notre avenir européen commun, etc.
Bref, toutes ces bonnes choses préparent d'excellents petits filles et gars, et zut aux grincheux!!
Michèle.


revenir au sommaire du numéro 9

revenir à la page de présentation

aller aux archives