SOCIETE :
LES CEREALES KILLERS D'ILLE-ET-VILAINE
par Andouilleuf Baloche,
marionnettiste,
mannequin chez Frites S.A. (Belgique)


Ici, on les a surnommés les céréles killers. Dans ce département déshérité, où les paysans errent en bande et détroussent les rares voyageurs prêts à se risquer dans le secteur, ils assurent un semblant d'ordre, au prix d'une terreur qu'ils répandent dans le coeur des plus endurcis. Qui sont-ils, quelle est leur réalité derrière la légende qui nous parvient à grand'peine jusque dans nos bureaux parisiens? Certains prétendent que ce sont des monstres infernaux venus de l'Enfer pour nous préparer au Jugement dernier. D'autres, plus cataclysmiques, assurent qu'ils sont destinés à préparer le terrain au parachutage électoral de Jacques C, qui caresserait l'idée de conquérir au nom du Parti des mal-logés la mairie de Saint-Keraoudec en Breiz. Mais les plus défaitistes se sont résolus à l'amère vérité: les céréales killers ne sont autres que des lapins en peluche affamés!

Par l'entremise d'un indicateur dont l'identité doit rester secrète, nous avons pu rencontrer l'un d'entre eux. Bras droit du principal meneur de cette jacquerie très ordonnée, le jeune En... a accepté, en exclusivité pour le Journal des Savants, de nous répondre.
Pourquoi cette campagne de terreur, quels en sont les objectifs? "Posez-vous cette question: si vous aviez faim, que feriez-vous?" Après une concentration longue de ma part pour me pénétrer de cette envie artificielle, je me vois saisir Ent... au col, le secouer et lui rugir au remue-nez: "elle est où la bouffe? T'accouches? Elle est où? Dépêche, j'ai pas dpatience!" Entr... se détache de ma poigne d'acier, puis nous nous installons devant un plat de pâte à mâcher. "Vous voyez, la faim, chez un lapin, c'est insoutenable. Il FAUT qu'on baffre, coûte que coûte." Mais pourquoi ces grands moyens? Pourquoi ces mutilations de fermières innocentes? Pourquoi ces fermes pilonnées, ces chats cloués sur les portes d'église? "On ne fait pas la révolution sans casser des oeufs" répond Entro..., les yeux fixés dans les miens. (D'ailleurs c'est assez douloureux.) La révolution, comme il y va! N'est-ce pas simplement histoire de casser la graine? "Tout ça est politique. Une fois qu'on a les dents du fond qui baignent, on a un peu de répit jusqu'à la prochaine grosse fringale. C'est là qu'on réfléchit le mieux au sens de notre action. L'idée serait de rendre le Finistère à leurs premiers occupants: les lièvres et les lapins. Les lapins en peluche sont les idiots utiles d'un mouvement de fond." Le Finistère, bredouille-je, mais c'est pas ici! "C'est une image. Il nous faut reconquérir notre dignité. D'autre part, les fermes occupent la place de garennes légitimes. Il est temps de raser ces infamies" Après quelques minutes de silence pendant lesquelles je fixe le plat de pâtes, je risque une dernière question: Entrop... ne serait-il pas un traître à sa propre cause, en feignant de combattre l'esclavage des lapins en peluche, destinés à être exterminés dès que ses maîtres vaincront? "Il sera toujours temps de retourner sa veste. Mes convictions, c'est mon estomac. Mais que tout ça reste entre nous, pigé journaleux de merde?" Oui, oui.

C'est pensif que je reprends le chemin de Paris, à travers des paysages dévastés par les luttes souterraines. Après m'être fait deux fois racketté, je passe la frontière sur recommandation exprès du garde-forestier qui m'a reconnu. J'arrive en terrain libre, et j'aperçois un vendeur de merguez-frites: c'est le retour à la civilisation.
Devant mon sandwich, vautré et pansant mes plaies, je réfléchis bien fort à cette situation absurde. Puis je conclus: décidément, j'y comprends que couic.



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