Par l'entremise d'un indicateur dont l'identité doit rester secrète,
nous avons pu rencontrer l'un d'entre eux. Bras droit du principal meneur
de cette jacquerie très ordonnée, le jeune En... a accepté,
en exclusivité pour le Journal des Savants, de nous répondre.
Pourquoi cette campagne de terreur, quels en sont les objectifs? "Posez-vous
cette question: si vous aviez faim, que feriez-vous?" Après
une concentration longue de ma part pour me pénétrer de cette
envie artificielle, je me vois saisir Ent... au col, le secouer et lui
rugir au remue-nez: "elle est où la bouffe? T'accouches? Elle
est où? Dépêche, j'ai pas dpatience!" Entr... se
détache de ma poigne d'acier, puis nous nous installons devant un
plat de pâte à mâcher. "Vous voyez, la faim, chez
un lapin, c'est insoutenable. Il FAUT qu'on baffre, coûte que coûte."
Mais pourquoi ces grands moyens? Pourquoi ces mutilations de fermières
innocentes? Pourquoi ces fermes pilonnées, ces chats cloués
sur les portes d'église? "On ne fait pas la révolution
sans casser des oeufs" répond Entro..., les yeux fixés
dans les miens. (D'ailleurs c'est assez douloureux.) La révolution,
comme il y va! N'est-ce pas simplement histoire de casser la graine? "Tout
ça est politique. Une fois qu'on a les dents du fond qui baignent,
on a un peu de répit jusqu'à la prochaine grosse fringale.
C'est là qu'on réfléchit le mieux au sens de notre
action. L'idée serait de rendre le Finistère à leurs
premiers occupants: les lièvres et les lapins. Les lapins en peluche
sont les idiots utiles d'un mouvement de fond." Le Finistère,
bredouille-je, mais c'est pas ici! "C'est une image. Il nous faut reconquérir
notre dignité. D'autre part, les fermes occupent la place de garennes
légitimes. Il est temps de raser ces infamies" Après
quelques minutes de silence pendant lesquelles je fixe le plat de pâtes,
je risque une dernière question: Entrop... ne serait-il pas un traître
à sa propre cause, en feignant de combattre l'esclavage des lapins
en peluche, destinés à être exterminés dès
que ses maîtres vaincront? "Il sera toujours temps de retourner
sa veste. Mes convictions, c'est mon estomac. Mais que tout ça reste
entre nous, pigé journaleux de merde?" Oui, oui.
C'est pensif que je reprends le chemin de Paris, à travers des
paysages dévastés par les luttes souterraines. Après
m'être fait deux fois racketté, je passe la frontière
sur recommandation exprès du garde-forestier qui m'a reconnu. J'arrive
en terrain libre, et j'aperçois un vendeur de merguez-frites: c'est
le retour à la civilisation.
Devant mon sandwich, vautré et pansant mes plaies, je réfléchis
bien fort à cette situation absurde. Puis je conclus: décidément,
j'y comprends que couic.
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