SCIENCE:
ON A IDENTIFIE LE GENE DE LA CAROTTE!!

par Ennuyeuf Baloche,
Chercheur à l'Institut d'Europe,
Membre du comité éditorial de la Revue des Carottes



Le choc du lapin
C'est un choc dans la communauté scientifique: la prestigieuse Revue des Carottes vient en effet de publier les résultats d'une sensationnelle enquête génétique menée par deux équipes renommées. Il semble qu'on ait enfin réussi à identifier le gène de la carotte chez le lapereau en peluche!
Le chef de l'équipe quimperoise ne cache pas sa satisfaction: "c'est un immense progrès que nous avons réalisé là, et moi tout particulièrement, déclare Empoteuf, directeur du Centre Lapin du Génome. A terme on peut espérer des avancées spectaculaires." En effet, certaines maladies congénitales qu'on croyait jusqu'ici incurables (sottise, goût pour les pommes de pin, manque de luisant dans le pelage, admiration éperdue pour André Glucksmann) trouveraient, par le biais de la thérapie génique, un début de représaille de la part de la communauté lapine enfin réunie. Alors qu'auparavant on s'empressait, dès les premiers symptômes de ces calamités diverses, de précipiter le nourrisson du haut des tours de Notre-Dame, certains chercheurs n'hésitent pas à dire qu'on devrait désormais, et par précaution, les doter au préalable d'un parachute. "Qui nous dit que la science ne va pas trouver de quoi demain guérir les lapereaux infirmes? On pourrait même remplacer dans leur coeur Glucksmann par Finkielkraut, il y aurait déjà du progrès" murmure avec un sourire extatique le jeune chercheur Angoreuf, de l'équipe de Lorient.

Un protocole exemplaire
La Revue détaille l'expérience qui redonne de l'espoir à toutes les mamans du monde au fond de leur terrier. L'équipe de Lorient a extrait laborieusement des cellules embryonnaires de lapin, tandis que celle de Quimper faisait de même chez ces crétins d'écureuils. L'idée des chercheurs était simple: toutes ces tares qu'on reproche aux lapins infirmes sont ordinairement ce qui caractérise les écureuils, et qui font qu'on les déteste à juste titre. Or, comme certaines belles âmes lapines ne cessent de le rappeler, il y a quelques points communs, malgré tout, entre lapin et écureuil. Il s'agissait donc de savoir, avec précision, ce qui distinguait au niveau génétique (et non uniquement comportemental, puisque pour ça, tout le monde avait déjà sa petite idée) les deux espèces, si proches et si lointaines à la fois.
Bon, je vous passe les détails d'extraction du matériel génétique, de réplication , de pose de marqueurs etc. Nous, à la Revue, on n'y a pas entravé grand'chose, mais ça avait l'air solide. En tout cas, au bout du compte, ce qui semblait le plus dissemblable était un gros bout de génome, surnuméraire chez le lapin. C'est ici qu'intervient l'ingéniosité du professeur Empoteuf. "J'ai décidé de transplanter le gros bout de lapin dans un embryon de crétin d'écureuil." Malin! Comment s'y est-il donc pris? "Imaginez que vous ayez à remplir un tube de mayonnaise vide à la main. Vous voyez?" Oui, oui. Ensuite? "Eh bien, on a laissé pousser ça dans le bidon de la mémère écureuil, et quelques temps après, naissait celui que nous avons baptisé Einstein. Ben oui, pour un écureuil, c'est un vrai génie. Regardez plutôt!" Surgit alors de derrière la cloison un bizarre petit animal, à la fourrure entre marron et blanc. C'est par bonds qu'il se déplace, mais pas de ces bonds précipités et disgrâcieux que pratiquent nos ennemis dans les arbres; cela ressemblerait presque... mais oui! On dirait un lapin maladroit qui vacille sous l'effet de l'alcool! Einstein, du premier coup d'oeil, étonne par son aspect extérieur de lapin raté!

Un presque-lapin prometteur
Mais nous n'étions pas au bout de nos surprises. Einstein, placé devant un tas de pignons de pin insipides, et un autre de succulentes carottes, se jette sans hésiter sur celles-ci, sans même que nous parvenions malgré nos efforts à lui en dérober une seule. Il faut dire qu'il était peu avant midi, et parler science, ça creuse. Par ailleurs, Einstein refuse obstinément de grimper aux arbres. Quoique son hygiène soit encore défectueuse, son pelage n'a pas l'aspect dégoûtant de celui des écureuils. Enfin Einstein ne peut contenir un éclat de rire à chaque rediffusion d'un vieux Cercle de Minuit spécial "André Glucksmann vous parle de ses combats d'antan". Autant de signes qui ne tromperaient pas, n'étaient certaines déficiences encore irrésolues. "Tout cela est bien compliqué, nous a déclaré notre envoyé spécial permanent au comité d'éthique, Axel Kahn. Il faut se garder de conclure trop vite. Les gènes... oui, c'est bien complexe." Si l'on suit bien les propos de notre spécialiste, les caractères physiques d'Einstein et son côté mi-chèvre mi-chou ne dépendraient pas uniquement du greffon de gène qui lui a été administré, mais de quantité d'autres qui lui font défaut, et que seule la perfection lapine est jusqu'ici parvenue à rassembler dans notre patrimoine génétique. Est-ce cela que vous disiez, Axel? "Oui... A peu près... Mais... il faut faire attention aux applications de cette découverte... Ethique! Ethique! Ethique!" (NDLR: Monsieur Kahn travaille actuellement à l'analyse de la déontologie chez le cabri de Haute-Corse.)
Einstein et ses oreilles déjà moyennes, et dont l'appendice caudale est moins bouffant que chez ses imbéciles de géniteurs, s'approche du canon de la beauté. Encore un effort, messieurs les scientifiques! Sous peu, armés de seringues remplies de bons gènes, nous transformerons nos ennemis d'hier en lapins presque normaux!

Des questions subsistent
On souligne très justement au terme de ce remarquable article de la Revue des Carottes que bien des problèmes sont soulevés par cette découverte inouïe. Ainsi, comment expliquer l'émergence de cette fonction extraordinaire au cours de l'Evolution? Le lapin descend de l'écureuil (ou d'une forme encore plus primitive), c'est une affaire entendue. Mais quelle a pu être la pression sélective, le milieu propice, l'écosystème favorable qui ont exigé que la race supérieure raffole des carottes? "Il y a plusieurs hypothèses, déclare dans un soupir le professeur Empoteuf. Mais celle qui a ma faveur est la suivante: si les meilleurs ont choisi d'adorer les carottes, c'est tout simplement parce que c'est rudement bon." La thèse, révolutionnaire, nous laisse le cul par terre. Et c'est ainsi que le grand savant prend congé de nous, ébahis. Puis nous nous resaisissons et partons à la cantine grignoter un peu.



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