Un problème qui nous touche tous et toutes
Tout le monde pourrait un jour être concerné par elle.
Elle ? Oui, Elle. La grande camarde, le fléau de la fin du second
millénaire (que nous venons de quitter), la grande, la terrible
Myxomatose. Personne, non, personne ne peut s'estimer à l'abri de
cette affection douloureuse et, pour l'heure, inguérissable. Pour
soi, pour ses proches, cette calamité, cette huitième plaie
d'Égypte est l'épée de Damoclès qui pèse
au-dessus de chacun aux moments les plus réjouissants de l'existence.
Vernissage d'exposition, Nouvel An et vœux du Président, galettes
des rois avec les collègues : autant d'occasions où l'on
fait planer la menace d'une contamination par ce virus turpide. À
tout moment, chacun(e) se rencogne dans son indifférence feinte,
inspectant son verre à cocktail, examinant son plat de petits fours,
louchant suspicieusement vers la télécommande de la télévision,
en se disant, à mi-voix : « Et si ça y était
? Et si j'étais contaminé(e) ? »
L'extension des périls
La myxomatose touche en effet de plus en plus de nos concitoyen(ne)s,
qui s'en inquiètent à bon droit. Comme l'a récemment
rappelé le professeur Henri Emmanuelli, chargé de mission
auprès du Ministère des Galipettes, les chiffres d'incidence
de cette maladie sont suffisamment éloquents pour qu'on se taise.
Aussi n'en dirons-nous rien. Mais que cela ne nous empêche pas de
bavarder autour d'un thème qui demain, après-demain peut-être,
pourrait subitement entrer dans notre vie pour la rendre cauchemardesque.
Parler,c'est un peu prévenir, et prévenir c'est guérir.
Et puisque guérir c'est bien, autant bavasser jusqu'à plus
soif (ce qui ne m'arrivera pas de sitôt). Vous reprendrez bien un
petit potage tomate pour la route ?
Une origine mystérieuse
On ignore encore d'où vient ce terrible mal qui a commencé
de décimer nos terriers voici quelques décennies. Certains
parlent de mystérieux essais de l'armée américaine
sur d'innocents lièvres, visant à tester de redoutables armes
bactériologiques. La contamination vers la race lapine aurait alors
eu lieu via des xéno-transfusions, si ce n'est par des voies pires
encore. Bien entendu, tout ceci n'est que légende, et le Pentagone
dément farouchement toute implication en ce sens. « Il
est de notoriété publique qu'aucun lièvre n'accepterait
de s'accoupler avec une lapine, fût-ce au prix d'une botte de carottes
et d'un gratouillement derrière les oreilles. Tout ceci relève
de l'extravagance et de la contre-nature » nous a déclaré
le général Mickey Rollmops, des Services Ultra-Secrets yankees.
Reste la rumeur, cette inextinguible rumeur qui court depuis si longtemps
en Occident, et dont aucun argument rationnel et irréfutable ne
paraît diminuer l'ampleur...
Tragédie de la maladie
Ce qui est sûr, en revanche, ce sont les effets de cette maladie
terrible. Les premiers symptômes sont toujours les mêmes, et
il ne faut pas hésiter à consulter votre médecin dès
leur apparition ou ce qui y ressemble. Rappelons pour mémoire parmi
ceux-ci la tendance irrépressible à trempoter le popotin
dans son assiette ou celle de ses voisins de table, la façon insolite
de pencher de l'oreille vers le moutardier, la manière insolente
de regarder ses amis bien en face d'un air vaguement réprobateur,
ou encore la pratique de plus en plus courante de sentir très très
mauvais. On le voit, ces signes pathologiques devraient éveiller
la suspicion de l'entourage de ces néo-rustres. Or bien souvent,
on assiste à une sorte de compréhension évasive de
la part des premiers concernés qui risquent une contamination expresse.
« Les cons ! Ils se laisseraient plumer si on les laissait faire.
Ils regardent le comportement dégradant de myxomatiques comme s'ils
étaient louables ou admirables. C'est nul. NUL !! » nous
a ainsi affirmé monsieur Mignon, médiologue professionnel.
Et l'on sait que le principal souci du corps médical trouve son
origine dans l'omerta complice des proches de malades qui ne se déclarent
pas. Une vieille habitude imbécile consiste en effet à taire
la maladie de ses proches, pour préserver cette façon de
distraction d'après-dîner en les contemplant s'avilir bestialement
dans la mangeaille la plus sordide. Mais il faut à présent
que même les plus mondains des lapins et lapines se dressent sur
leur pattes arrières et déclarent fièrement au monde
entier : « Ça suffit ! Y'en a marre ! » Que les
tabous tombent ! Et que les malades soient enfin dirigés vers leurs
mouroirs !
Le tiers-monde touché
Mais le principal péril qui guette notre joli monde réside
bien entendu dans l'extension de la pandémie à des populations
faibles et sans défense. Les terriers les plus indigents sont à
leur tour touchés, et rudement. On déblaie avec peine d'énormes
colonies de vingtaines de lapins, foudroyés en plein cœur de Paris
par la myxo. Des foyers infectieux se déclarent dans tout trou insalubre.
La préfecture a bien prévu un grand programme de nettoyage
au napalm, mais les crédits tardent à être débloqués.
Enfin, la situation en région n'est guère plus ragoûtante.
Les plus petites localités du Lot-et-Garonne ne sont pas épargnées,
c'est dire.
Adresse aux gouvernants
Alors, messieurs du gouvernement, qu'attendez-vous ? Qu'Edmond Hervé
reprenne la situation en main ? Allons, il n'est plus temps de compter
sur les hommes providentiels ! L'heure est trop grave, il faut agir. Pourquoi
ne pas ouvrir de ces sympathiques lieux d'accueil comme à Cuba,
où nos amis les myxomatiques pourraient couler des jours paisibles
jusqu'à extinction ? Ce n'est là qu'une proposition. Mais
le temps presse. Vous êtes comptables de la qualité de nos
santés et de nos moutardiers. À bon entendeur...
|