Comme toujours, c'est à un intellectuel de premier plan que
l'on doit un vaste mouvement d'opinion. La république des lettres
a l'honneur sauf, puisqu'un de ses plus illustres représentants
a, comme ses prédécesseurs, su remuer à la sueur de
son stylo à plume les consciences de ses contemporains. Grâce
lui soit rendue si tous nos hebdomadaires, la plupart des suppléments
littéraires de nos quotidiens, et des heures radio-télévisées
ont patiemment ré-entretenu une ferveur oubliée pour notre
plus Grand Philosophe National depuis Paul Bourget : c'est de Jean-Paul
Sartre, revu et corrigé par Bernard-Henri Lévy, qu'il va
ici être question.
Après vingt années d'un purgatoire immérité, l'auteur de Huit-Clos se trouve ainsi à la place naturelle qui est la sienne : la première, dans la pagination du Monde des Livres. Sartre est vivant, il est joyeux, nous annonce la prophétesse de ce supplément toujours pertinent et impertinent. Mais là où Josyane Savigneau, contre son habitude, se trompe, c'est lorsqu'elle désigne Régis Debray comme le paradigme de militant du camp anti-sartrien par sa morosité supposée. Nous tenons d'informateurs très fiables que Régis est un bon vivant, qui n'hésite pas à laisser couler le rosé en pichet dans ses sorties dans les pizzérias de France ou d'ailleurs. Car la médiologie est un art de vivre avant même d'être une discipline. Que l'on ne croie pas que l'on s'égare en parlant à ce propos de Régis Debray. Tout le monde a en mémoire la fantastique polémique qui opposa Régis à Bernard-Henri au moment de la guerre contre la Serbie, il y a un an. "Adieu, Régis Debray" haranguait le meilleur philosophe des années 2000 contre le premier médiologue du troisième millénaire. Lutte de géants. Titanesque affrontement de puissances égales, de styles, de pensées enfin, qui manquaient à la France depuis tant d'années. Depuis quand exactement ? Mais oui, vous avez trouvé. Depuis Sartre. Or, c'est cette rivalité entre Régis et Bernard-Henri, ou plutôt cette question de fond qui se retrouve posée dans l'accueil réservé à l'exhumation de Sartre. Qui choisir de Sartre et Camus ? De Sartre et Merleau ? De Sartre et Aron ? Et aujourd'hui : de Prost et Senna (disons de presque aujourd'hui) ? De Delerm et Ernaux ? De Bové et Forrester ? De roquefort et McDo ? De Lévy et Debray enfin ? Voici donc notre thèse : Sartre n'a jamais été aussi présent que depuis qu'il est mort, enterré et dévoré par des vermisseaux métaphysiques. Car les questions passionnantes que l'on se posait à son époque, on recommence à les poser en des termes presque aussi évolués. Personnalisés, médiatisés, reposés par les journalistes, les problèmes de la philosophie sartrienne acquièrent une assise concrète qui leur faisait peut-être défaut pour conquérir la fameuse ménagère de tel âge. Qui regarde les émissions de Bernard Pivot, écoute France Culture ou apprend la philosophie par BHL et Josyane Savigneau ne peut, implacablement, qu'aboutir à l'heureuse conclusion que décidément nous vivons une époque sartrienne, c'est-à-dire formidable. Sartre est vivant, parce que ses plus zélés idolâtres résument la crème de la pensée contemporaine. Nous, au Journal des Savants, nous contenterons largement de cet argument. Il nous chaut peu de lire l'œuvre du strabique, du moment que l'on nous dit d'autorité qu'il est le plus grand. Nous préférons passer notre temps, comme nos idoles d'ailleurs, à la terrasse des bistrots faisant semblant de discuter de livres que nous n'avons pas lus. Et ce n'est pas notre consœur Josyane qui va ici nous contredire. Enfin, l'ultime thèse de notre analyse serrée concerne
Régis Debray. Etrangement absent des campagnes publicitaires entourant
l'opération de Bernard-Henri, nous voulons poser les bases d'une
réconciliation philosophique entre ces deux penseurs de haute volée.
Sartre en sera le médiateur posthume. Non, ne disons plus "Adieu
Régis Debray" à la une du Monde, mais hurlons-y comme
chaque premier de l'An "Bonjour la Pensée !" Régis
et BH savent qu'ils sont les deux faces d'une même médaille.
Il ne viendrait pas à l'idée de la Semeuse de faire ses adieux
au côté pile de la pièce de 1 franc. Que Régis
et BH se réconcilient enfin, car notre petit cœur souffre de ces
dissensions injustifiées. Embrassez-vous, messieurs. Et puisque
le Pacs est impossible dans vos situations, signez au moins une quelconque
pétition commune : contre la montée de Haider, pour la dissertation
à l'Ecole, contre le mauvais temps en période de fête,
contre les tremblements de terre, pour la joie dans le regard des enfants,
signez tout et n'importe quoi, mais s'il vous plaît, pour l'honneur
de la France et le bonheur des Savants, réconciliez-vous sur les
cadavre refroidi de JP !
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