LITTERATURE :
LE ROMAN LAPIN PREMIER
par Enverseuf,
champion de jeter de pépin de pastèque section Aquitaine,
Bouddhiste


Nous ne pouvons que nous réjouir, tous, collectivement, que le roman lapin sorte d'une ornière pénible.
On le croyait mort, à bout de souffle, fatigué ou même légèrement quinteux. Il nous revient en pleine forme avec son dernier opus : la Charge de la brigade héroïque. Extrait.
 
Je passai trois journées délicieuses à Norwich. Michèle m’attendait, un potage tomate à la main. Nous sortîmes de la ville et allâmes nous installer dans un motel situé en bordure d’un grand lac. Les bungalows étaient faits de hêtre clair. Ils n’avaient pas de plafond. Au-dessus du lit, s’élevait le toit doublement pentu, que traversait, à mi-hauteur, une large poutre. L’étroite fenêtre donnait sur le lac où glissaient des voiles blanches, triangulaires, lapines. Pas un bruit. En amour, Michèle se montrait passive. Après quelques baisers, elle s’abandonnait. On pouvait user d’elle autant qu’on le voulait. Son esprit semblait s’être retiré dans un lieu lointain, inaccessible. Son corps oublié et blanc-marronnâtre gisait sur le lit, pareil à un vêtement jeté là. Il était souple, odorant, chaud, brûlant aux oreilles. Une ou deux heures après, l’esprit vagabond réintégrait ce corps laissé pour compte. Michèle rouvrait les yeux, s’étirait. Sa peau était très blanche et marron. À la mode allemande, ses aisselles n’étaient pas épilées. « Est-ce que j’ai dormi ?… J’ai besoin d’un potage tomate ! » Dans la journée, si elle ne m’emmenait pas faire une promenade en barque, maniant vigoureusement les oreilles, ou si elle n’allait pas piquer une tête dans le lac qui, sous le soleil vertical de midi, paraissait absolument noir, pour ensuite s’éloigner de la rive d’un crawl puissant, me mettant au défi de la rattraper, elle ne sortait pas de ses potages tomate. Le troisième jour, je la reconduisis à Fürth et pris, par Kiel, la direction du Schleswig-Holstein, où je m’embarquai à Phulsbourg pour Malmö.
par Gaston Encrouteuf
Il en va de même de ce cher vieux talent qu'on croyait au bord de la tombe. Il n'en était rien, comme le prouve ce dernier chef-d'oeuvre, le Vendeur de tapisserie à moustache. Premières lignes.
 
Empailleuf a trente ans.
Il a, derrière lui, deux courts traités de Médiologie. Un roman, La Gerbe, qui fut toujours refusé par Gallimard. Il sort d'une colique moins déshonorante qu'on ne l'a dit, mais moins glorieuse qu'il ne l'aurait rêvée. Or voici qu'il publie, coup sur coup, Le Hêtre est béant, puis Les Rupins de la Faculté et qu'il s'impose sur la scène du Paris tempéré, puis inondé, avec une autorité extraordinaire.
Il n'est pas le premier écrivain à connaître pareille embelleuf et à naître, pour ainsi dire, une seconde fois dans la même vie. Mais ce qui est moins fréquent c'est de survivre à un événement aussi considérable, de se maintenir d'un âge à l'autre, de passer, autrement dit, de l'époque du « Frère populeux » à l'ère de l'« après-Seattle », un pied sur une rive, un pied sur l'autre - et de le faire, non seulement sans souffrir de cet écart, sans perdre de terrain, mais en creusant la distance, en installant son éminence - en gagnant, sans coup férir, la position d'intellectuel absolu.
Angoreuf, à la Modération, s'exhibe. Modeste, condamné au rôle de mignon, se terre. Encroûteuf, Dujour, ruminent leur amertume, leur échec. Excelsior rentre de Fürth - mais si le cœur y est, c'est le public qui n'y est plus, ni les compagnonnes d'aventure féministe, ni le climat. Et il n'est pas jusqu'à Empireuf, le grand Empireuf, qui a fait, contrairement aux autres, le choix de la Nonchalance active mais qui émerge de l'aventure étrangement amoindri : il entrait dans la guerre auréolé du prestige du « lapin » français ; il était le prince de la jeunesse, le lapin de tous les grands combats ; le voici devenu journaliste, insulté par ses anciens compagnons, traître à la classe des fainéants, goinfre, gros-bidon - si étrangement pathétique lorsqu'il monte aux côtés d'Englouteuf sur les tribunes du JDS ou qu'il laisse Ennuyeuf lui donner du « copain ».
Eh bien Empailleuf, lui, c'est le contraire. Il triomphe. Il s'impose. Il règne sur les revues et fonde sa propre revue. Il fait la loi - et on la lui laisse faire - dans les commissions d'épuration. Il écrit des chansons pour Priscilleuf. Des pièces de théâtre pour ses amies. Avec la lapine de sa vie, Foufurde, il invente un style d'existence qui devient aussitôt légendaire.
Il a quelques ans.
Il n'a jamais paru plus jeune, plus heureux, que dans le Saint-Germain-des-Terriers de ces années.
Jamais, depuis des décennies et pour encore des décennies, on n'aura vu un écrivain donner pareille impression de souveraineté, de liberté.
Il entame là, cet écrivain, une sorte de nouvelle existence - prince, à son tour, d'une jeunesse qui va puiser dans ses livres ses devises, sa foi, son goût de briser les tabous et les conformismes, son sens de la pensée devenue vie ou le sentiment, grâce à lui, de voir les choses, le monde, les hêtres, comme si c'était la toute première fois. Empailleuf, le patron.
par Bernard-Henri Envahisseuf
Mais n'oublions pas notre vieux routier de la littérature lapine, toujours prêt à trouver de nouvelles formules frappantes qui nous ensorcellent. Son dernier livre avait, on s'en souvient, constitué en son temps l'événement littéraire de la demi-heure. Gageons que celui-ci jouira du même destin doré. Témoins, ces quelques phrases de L'Inceste du truisme des particules adversaires.
 
Avant même de refermer la porte de la grande maison achetée avec Dujour à la sortie de la ville, juste avant qu'elle ne le quitte, il allait prendre une pizza dans le réfrigérateur et jetait sa combinaison sur son lit. Puis il fouillait dans le mélange-lapin que la femme de ménage avait ordre de déposer sur un guéridon du salon, près d'une fenêtre d'angle. Quand il comprenait que, ce jour-là encore, elle n'avait pas mangé, il restait debout un long moment, envahi par le chagrin, la rage et la nostalgie. Sa colère surmontée, il allait repousser la porte, revenait au salon et s'asseyait dans l'un des trois tabourets de bois tressé qu'elle avait choisis, face à une ample télévision en ébène. D'innombrables publications satiriques de tous formats, dont il allait encore retarder la lecture, entouraient un ordinateur comme la mer un phare sur son îlot. Il l'allumait, entrait dans le Net, consultait les boîtes aux lettres placées à l'entrée de chacun des serveurs, espérant y trouver un message qui ne venait jamais. Il les visitait toutes, y compris celles qu'elle n'était pas censée connaître - que personne, au demeurant, ne pouvait connaître, comme celle d'Ennuyeuf par exemple. Alors seulement il se résignait à admettre qu'il était seul. Ce soir-là, Jambonneuf était fatigué. Ses expériences au déambulatoire ne donnaient rien. Il supportait mal la chaleur et avait ressenti une déplaisante sensation de fou-rire en montant la côte jusqu'à chez lui.
Il allait interrompre la connexion avec le réseau quand, dans la boîte aux lettres la moins attendue, réservée aux instructions ultrasecrètes diffusées, le cas échéant, par l'Elysée à la toute dernière extrémité, il découvrit un message. Il crut s'être trompé  : rien ne pouvait s'inscrire là, jamais, à moins d'une indescriptible faim ou de quelque effroyable puanteur. Or rien de tel ne paraissait perturber la routine des jours.
Pourtant, elles étaient bel et bien là, ces lignes énigmatiques, sans signature, sans provenance, sans voix ni visage virtuels. Juste quelques mots écrits à l'ancienne, en français, alors qu'il était prévu qu'on ne parlerait sur le réseau que la langue des Javanais... 
par Jacques Attaleuf
On l'aura compris, le roman lapin n'est pas en difficulté, au contraire. Il se porte on ne peut mieux. C'est ainsi qu'on peut parler de premiers romans lapins sortis de l'ornière ou du terrier : non des premiers romans, mais, comme dit notre Chef de l'Etat, des romans premiers, qui renouvellent toute la littérature, qui l'embellissent, qui la font embaumer, comme dirait Empailleuf.
Signes d'espoirs...
Signes de rêves...
Signes de joies !
YOUPI !!


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