LITTERATURE :
LA RENTREE LITTERAIRE

par Angoreuf,
lapin nain,
critique littéraire au Journal des Savants et à Paris-Turf



    Que de bonnes surprises nous réserve cette rentrée! Des centaines de romans, tous plus passionnants et mieux écrits les uns que les autres. Et, comme chaque année, la distribution des prix à la fin de la saison. Moi, chaque année, je vais comme beaucoup de nos concitoyens à la FNAC ou au Leclerc du coin, et je demande à la vendeuse «où ils sont, les prix?» Elle comprend tout de suite, et elle m'indique un petit tas bien en vue. J'en prends cinq ou six lots, et voilà le travail. Plus besoin de se casser la tête pour savoir ce que je vais offrir à toute la smala. Ils auront chacun le leur. L'ennui c'est que moi j'ai tant de succès et qu'on m'aime tellement que parfois je reçois le même lot de bouquins de la part des autres. Heureusement, il y a Gibert pour les revendre. Regardez-moi ça, ils sont comme neufs, je les ai même pas ouverts, monsieur Gibert! Ah, ne commencez pas à me dire qu'on vous dit toujours ça, je sais que vous en avez déjà des milliers de tout neufs de ces bouquins, mais si vous continuez, je descends le boulevard et je vais chez fiston Gibert. Ah, je préfère ça. Non mais. Et voilà une bonne année qui commence!
    D'autant que cette année, comme toutes les autres, on peut déjà acheter en septembre (ou en octobre pour les lapins retardataires) les prix de novembre. Nous sommes sûrs de ne pas nous tromper en prophétisant que de petits bijoux déjà repérés recevront des récompenses bien méritées dans peu de temps. Nous en avons sélectionné deux pour vos plaisirs de lecteurs.

Milovanoff, ou la poésie à fleur de peau
    JP Milovanoff est un auteur discret. Après un passage à France Culture, il décide de se lancer dans la littérature. «On entre en littérature comme on entre en religion, nous a-t-il assuré, et religion, ça veut dire relier en latin.» Nous ne demandions ni tant d'érudition, ni tant d'originalité. Mais avec Milovanoff, on n'est jamais au bout de ses surprises.
    Pourquoi diable a-t-il quitté cette radio secrète et ambitieuse? «A force d'entendre des écrivains parler, et de voir le résultats de leur travail, je me suis dit : pourquoi pas moi?» En effet, pourquoi pas. Et le résultat est éblouissant: presque chaque année depuis 1995, il nous fait parvenir par voie de librairie, immanquablement fin août, début septembre, et par des éditeurs de plus en plus exigeants (Grasset actuellement) un livre merveilleux, où il est question d'amour, de nostalgie, de retour à la nature... Les décors sont flamboyants et faciles à visualiser puisqu'ils sont ceux d'un téléfilm TF1, les anecdotes historiques trouvent leur source dans la dernière commémoration officielle, de sorte que tout le monde les a en mémoire presque aussi bien que l'auteur, et les péripéties sont suffisamment connues d'avance pour ne tournebouler personne. De la littérature paisible, faite pour des jeunes séniors mal remis de la disparition prochaine de Barbara Cartland. On y trouve des images aussi magnifiques que les suivantes, relevées par notre confrère du Nouvel Obs Garcin:

«La vie est « légère comme un vin blanc ». Les yeux sont « gris comme la pointe d’un clou neuf ». Le rasoir est « affûté comme une oeillade ». Les bords de la rivière miroitent « comme les écailles d’un dragon décapité par la lumière ». La main dans les cheveux est tiède comme « une fouine sous les flocons ». Le coeur est « comme un chien qui s’est fait coincer une patte ». Et les mots sont « frêles comme des coquilles d’amande pleines de silence et de larmes, des mots qui résonnent dans la poitrine comme des appels dans un bois ».»

    Que dire de plus beau, de plus juste, de moins entortillé? Mallarmé n'aurait pas mieux trouvé.
Il paraîtrait, selon les langues perfides du Canard Enchaîné, que Milovanoff serait à présent soumis aux conditions d'un footballeur de deuxième catégorie : son transfert de Julliard à Grasset aurait coûté «1 million de francs». La littérature commence enfin en France, avec JP Milovanoff, à se hisser au niveau des activités les plus nobles de l'esprit.

Angot, l'enfant sauvageonne
    Christine Angot a un secret. «Tu sais, toi, c'est quoi que c'est mon secret.» Moi? Non, c'est quoi? «Mais si que tu le sais ben, va!» C'est que vous racontez vos amours saphiques à longueur de page? «Mais non, tout le monde sait ça, et puis comment que j'aurais la première page du Monde des Livres, sinon, hein?» Euh... Je sais pas... Que vous ayez été violée par votre père dans un confessionnal? «Nan, ça c'est juste pour que Libé et les Inrockuptibles parlent de moi. Cherche, mon ptit, allez quoi, tu sais bien!» Mais je cherche, euh! Et puis arrêtez de me gratter entre les oreilles. Je sais pas moi... Le secret c'est que vous savez lire et recopier? «Tu veux dire pour les passages du dico de Rounidecso sur la psynachalyse? Nan, mais ça, c'est pour faire pas a-na-lpha-bête, enfin tu comprends. C'est pour mon entrée à l'a-ca-dé-mie, qu'elle a dit Josyane.» Alors là, je vois pas. Non, vraiment. Bon je donne ma langue au chat.
    «Tu connais George Sand?» Oui, de nom. «Eh ben, c'est une femme, elle était mariée à un type. Sand, c'était pas son vrai nom. D'ailleurs George non plus c'était pas son vrai prénom. C'est comme si que moi j'm'appelais Christian.» Oui, bon, mais encore? «Oh, t'énerve pas hein, y a pas l'feu. Son mari, il s'appelait Sandot, ou quekque chose comme ça. Et son idée à elle c'était de prendre le nom mais presque, tu vois?» Euh... «Sandot, Sand. Tu vois?» Euh... Oui... Et alors? «Alors? Tu demandes alors, mon p'tit? C'est l'abréviation de quoi à ton avis, Angot, mon chéri?» Mais, mais, lâchez-moi! Je veux pas le savoir, satyresse!

Bonne rentrée, avec la littérature française de qualité!
    Au fait, à ceux qui s'étonneraient qu'on ait cité les passages de Milovanoff par les citations qu'en font les journaux, nous répondrons que d'abord on les achète pas forcément ces bouquins, et qu'ensuite si on les achète on a pas envie de casser les reliures, sinon c'est moins cher pour Gibert. De toute façon, ça prend trop de temps de lire des trucs pareils. Pour ceux qui voudraient savoir les titres des livres dont on a parlé, ils ont qu'à aller à n'importe quelle librairie. On va pas vous mâcher le travail, quand même. Sauf si c'est comme ça que vous appelez les carottes.



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