Qu'est-ce qu'une starteupe ?
La question du mot
Certains puristes ont reproché à ce nom ses sonorités
un peu anglaises. On ne sait pas ce qu'il leur faut ! Ils ont proposé
"gazelle" ou "jeune pousse" pour remplacer un mot déjà utilisé
par tout le monde. Reconnaissons-le : nous y perdrions en franchise et
en efficacité. Autant aller prétendre que holdeupe, pickeupe
ou houlahoulaheupe ne sont pas de chez nous. Derrière ces problèmes
de langue, on le sent bien, ce sont toujours les frilosités, les
terreurs vis-à-vis de l'Autre qui sont à l'ouvrage. Mais
nous savons depuis Auschwitz et l'élection de Jörg Haider que
la guerre des mots n'est pas innocente : on commence par brocarder un mot
soi-disant étranger, on termine par expulser manu militari
les sans-papiers de Saint-Bernard. Oui, Messieurs les tenants d'une langue
aussi pure sans doute que vos gènes, nous savons où vous
entendez nous entraîner !
La question du sens du mot
Ces précisions lexicales ayant été calmement apportées,
il convient de s'intéresser à la signification de la starteupe.
En effet, certains paysans de Basse-Lozère et d'ailleurs ont été
signalés à notre rédaction comme ne connaissant pas
encore ce que cela veut dire. Après leur avoir demandé courtoisement
mais fermement ce qu'ils foutaient sur le web nom de Dieu, nous leur expliquerons
ceci : (musique)
La starteupe, c'est l'Avenir. C'est la jeunesse audacieuse qui crée
et s'émancipe de notre monde enkisté de vieillards souffreteux.
C'est le signe d'une aube de progrès, d'un développement
ininterrompu, d'une paix sociale. C'est l'hirondelle qui annonce le printemps.
La starteupe enfin, c'est ici et maintenant : c'est notre aujourd'hui,
et pour tout le Millénaire au moins.
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Comment financer sa starteupe ?
Tous ces préliminaires réglés, tournons-nous vers
les questions techniques que pose cette nouvelle forme de citoyenneté.
Premier problème : où trouver l'argent ? Pour cela, il faut
que vous trouviez un bon gestionnaire de capital-risques. Après
des années perdues, la France est en ce domaine en passe de rattraper
son retard sur l'Allemagne et le Botswana. Demandez simplement au banquier
le plus benêt possible de quoi financer un site fun à
fort potentiel d'appréciation. C'est bien le diable s'il vous refuse
un crédit digne du Crédit Lyonnais dans sa grande époque.
N'acceptez rien à moins de 25 millions (d'euros, s'entend. Il ne
manquerait plus que l'on se mette à parler ici en langue des péquenauds.)
Si l'on hésite, si l'on fait mine d'abaisser vos ambitions, ayez
l'air juvénile et impétueux. Vous êtes un très
jeune loup, rappelez-vous. Trichez sur votre âge au besoin. Les prothèses
capillaires sont à présent tout à fait convenables
: annoncez 22 ans. Dites fièrement que votre projet répond
à une attente du public, parlez franchement (mais sans entrer dans
aucun détail) des opportunités à saisir, des
deals à conclure et des challenges à relever,
des marchés en explosion, de votre entrée en bourse, des
stock-options répartis équitablement, des hiérarchies
abolies pour que ce soit plus sympa, convivial et studieux, de votre studette
au Silicon Sentier qui sert de local de départ, de vos diplômes
enfin et de vos stages dans des cabinets de consulting. Si tout
ce déballage ne suffit toujours pas à effacer la moue du
banquier, levez-vous en chien fou que vous êtes, dirigez vous vers
la porte d'un air offensé : on vous rappelera, et votre ligne de
crédit sera ouverte à vos conditions. Vous aurez mis le banquier
en poche.
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Que faire de sa starteupe ?
Ouf ! le plus dur est fait. Vous voilà sorti de la banque, des millions
virtuels en poche, et vous pouvez enlever votre moumoute, plus personne
ne vous regarde. Il ne reste plus qu'à faire semblant de les mériter.
Enfin, remarquez, est-ce bien nécessaire ? Le capital-risque,
c'est fait pour être risqué. Il y a des ratages. Au fond,
n'est-ce pas, ce qui compte est que vous vous en mettiez dans un premier
temps plein les fouilles, puis que votre piteuse tentative, qui n'aura
produit pendant des mois que du vide bruyant avant de s'effondrer sous
la menace des huissiers dépêchés par votre banquier
(las, comme vous-mêmes et vos salariés-copains-copines, d'attendre
d'autres profits que ceux de sa propre caisse) n'apparaisse plus dans votre
vie que comme une ligne soulignée en gras dans votre CV. "Ouiche,
j'ai fondé ma boîte, mais le marché n'était
pas assez mûr. Aujourd'hui je m'y prendrais différemment."
Votre succès est assuré, et auprès d'une entreprise
qui (par chance) n'aura pas résolument à compter sur vos
compétences pour son développement propre, mais fera semblant
d'être intéressée par votre "fascinant esprit d'initiative".
Ne vous tracassez donc pas. Achetez un site au nom grotesque (youplaboum.com,
jeveuxacheterdeschoses.com, laboutiquedesniaiseries.com) et feignez d'y
faire autre chose que vous y tourner les pouces en mangeant des pizzas
livrées à domicile. Laissez couler le temps. De toute façon,
vous n'avez rien promis. Vous vivez en ne fichant rien, c'est déjà
splendide.
Pour vous, cela se sera appelé le risque : vous aurez été,
à votre manière, un aventurier. Car les Indiana Jones de
notre temps se recrutent en première année de HEC, dans ces
charmantes chambres doubles que l'on appelle les "co-douches". Votre vraie
vie, c'est là qu'elle commence, et que s'impriment en lettres de
feu votre destin et le Curriculum Vitae de vos futurs 30 ans. Vous serez
un gagneur. À condition, naturellement, de suivre mes conseils préliminaires,
et ceux plus développés que je vous propose par ailleurs.
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