HYSTERIE :
L'extrême droite au Lichtenstein
de notre envoyé spécial
Empoteuf,
lapin itinérant et sans domicile fixe.

Que se passe-t-il au Lichtenstein ? Cette petite principauté opulente est soudain agitée de fantômes qu'on aurait crus dissipés. Les dernières élections cantonales (546 inscrits, 36 votants) ont donné un avantage certain au plus sectaire des partis représentés, le Rassemblement des Libéraux pour une Principauté Pure (RLPP) : 16% des voix, contre moins de 80% aux partis normaux, démocratiques et européens. La situation est suffisamment grave pour que la présidente du Parlement européen, la Française Nicole Fontaine, ait déclaré que "le Lichtenstein, dorénavant personne ne sait plus où ça se trouve". Manière de dire que les poubelles de l'Histoire ne seront plus ramassées par les agents de voirie de Bruxelles. 
Qu'on se souvienne en effet que le Lichtenstein est structurellement affilié à l'UE, sans en faire partie officiellement. Voulant le beurre communautaire et l'eau du bébé du bain, les Lichtensteiniens s'exposent, par leur attitude hétérodoxe, à être relégués hors de notre future mère-patrie, en compagnie des recalés de l'Union : Suisse, Islande et autre Norvège sous-développées. Les conservateurs de tout poil, à force de rater les trains du Progrès, vont infliger ainsi à leur populace le dépit de ne pas faire partie du groupe le plus fun d'Etats-nations fédéralisés, et de faire chuter leur PIB en dessous de celui de Haïti ou du Bengla-dèche. Bien fait pour eux ? Pas si sûr. Car en cette terre métisse, où se ressentent des siècles de partage culturel et d'échange enrichissants, les artistes ne l'entendent pas de cette oreille. Et sont descendus en masse pour le crier haut et fort, au nez et à la barbe des dirigeants sociaux-démocrates qui envisageraient de siéger dans la même chambre que les descendants spirituels de Hitler, Mussolini, Franco, le croquemitaine, Gilles de Rais et Caligula réunis. Enquête.
Empoteuf : Joelle Lumpenstolz, vous êtes une artiste de renom de la scène liechtensteinienne. Pouvez-vous exprimer vos sentiments sur ce qui arrive ?

JL : Oui, je le peux. J'ai la haine. Le RLPP qui arrive en quatrième position, c'est un peu comme si on revenait 60 ans en arrière, du temps de la montée de la bête immonde.

Empoteuf : Certes, mais pourriez-vous analyser ce premier sentiment ? Voulez-vous que nous, Occidentaux, vous aidions à dépasser le fruste de vos réactions ? Nous disposons de structures très adaptées pour vous aider à réagir efficacement, auprès des médias en particulier.

JL : Bon il faudrait quand même pas nous prendre pour des arriérés. Cela dit, si Michel Piccoli est libre, il peut venir nous dire un petit bonjour. Même chose pour Jack Lang, s'il n'est pas trop occupé.

Empoteuf : Je crains que cela ne soit guère possible. Mais concrètement, qu'attendez-vous des réactions internationales ?

JL : Qu'elles soient très fermes. Il est clair qu'on ne peut plus serrer la main du premier ministre actuel après ce qu'il a fait. Le salaud. 

Empoteuf : Vous parlez de Wim Duisenglopf ? Le chef du parti social-démocrate, ancien maoiste dans les années 70 ? Mais voyons, il me semble tout à fait respectable. Après tout, le parti néo-poujado-hitlérien n'est pas entré au gouvernement, et ne disposera que d'un siège à la Diète. En quoi Wim est-il responsable ?

JL : L'ordure.

Empoteuf : Mais que lui reprochez-vous exactement ?

JL : Cette question ! Qu'il n'ait pas annulé les élections voyons ! Vous vous souvenez en Algérie aux municipales, quand les Islamistes étaient en tête au premier tour ? Paf, annulation. Alors, qu'est-ce qu'on attend ? Que la démocratie soit démolie par les ordures révisionnistes, racistes, machistes et homophobes ? Moi je dis stop ! La démocratie il faut la préserver des mains barbares. 

Empoteuf : Il fallait donc, selon vous, que le gouvernement proclame nuls les résultats qui le donnaient largement vainqueur ? 

JL :Pffou, vainqueur, mon cul oui. Vainqueur avec une opposition à 16% qui se proclame nationaliste ? Il ne faut jamais oublier que Hitler est venu au pouvoir légalement, avec une majorité relative. Donc, interdiction du parti de Jörg Oigre.

Empoteuf : Vous réclamez donc l'interdiction du parti populiste et xénophobe, mais qu'attendez-vous de la communauté internationale en général et de Martine Aubry en particulier ?

JL : Que toutes deux soient dignes et intelligentes. Je ne demande pas la lune, si ?

Empoteuf : Oh que non. Et pour votre part, qu'allez-vous faire au milieu de votre petite communauté d'artistes d'avant-garde pour protester contre ces relents que l'on croyait définitivement dissipés ?

JL : Nous organisons des manifestations de rue tous les lundis après les heures de bureau. Le plan en est décidé au dernier moment, pour que les milices ennemies que nous savons en voie de constitution soient surprises à chaque fois. Nos mots d'ordre et nos lieux de rendez-vous sont communiqués par téléphone portable et par e-mails.

Empoteuf : En somme vous incarnez une certaine idée de la modernité citoyenne.

JL : Oui, la moitié des manifestants est en rollers.

Empoteuf :Il ne faut pas oublier que les opposants, que l'on peut d'ores et déjà qualifier de résistants, sont des jeunes citadins, des femmes, et de manière générale des personnes engagées dans la vie associative

JL : (le coupant) visant à restaurer le lien social singulièrement distendu par la fracture du même nom

Empoteuf : (la coupant) et tendant à promouvoir une conception nomade et incisive de la société du troisième millénaire

JL : (le recoupant) pour bouger les conservatismes et s'affronter à tous les réactionnaires qui n'ont de cesse de saper la création contemporaine.

Empoteuf : (essouflé) Eh bien merci Joelle pour ce témoignage vivant d'éveil militant.

JL : (ahanant) Merci à vous, c'était un plaisir de partager ses idées.

Joelle Lumpenstolz expose actuellement dans la grande galerie de "squartistes" parisiens "Cyber-trasheux" ses performances enregistrées sur une multitude d'écrans vidéos. Dans la grande tradition post-post-Glumpfienne, on l'y voit avaler des tessons de bouteille et vomir du sang, avant d'être opérée sous l'œil de web-cams par des chirurgiens d'opérette qui la recousent tant bien que mal. Saisissant et dérangeant.
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