GASTRONOMIE
AU GRATIN DE NOUILLES

par Priscilleuf, dit Modeste Mignon,
étudiant (CE1) à l'école primaire de Slurpette



  Le raffinement ne doit pas nous faire fuir, et les lapins n'ont pas à toujours reculer devant un bon plat de potée à la Tour d'argent. C'est pourquoi moi, Modeste Mignon, j'ai décidé de vous emmener aujourd'hui dans un endroit sélect, et dont l'entrée est gardée sévèrement par un videur. Gare au lapin qui aurait décidé de se promener tout nu : il serait impitoyablement la risée des restaurateurs, ce qui est désagréable. Je me suis donc habillé d'une chaussette jaune (Cacharel), et j'ai sautillé comme pendant la course en sac jusqu'au saint des saints. On m'a accueilli les bras ouverts : j'étais le premier.
    Au vestiaire, n'ayez aucun embarras : la demoiselle qui propose de vous garder la chaussette pendant que vous baffrez ne semble pas trop se vexer si vous lui tirez la langue.
    Le garçon s'empresse vers moi, il surélève un peu mon siège, m'apporte le menu, me le déchiffre puisque je ne sais pas encore lire. Je choisis bien vite la spécialité maison : le gratin de nouilles. Puis c'est au tour du sommelier de m'égrener les boissons les plus délectables. Sauternes, Saint-Emilion, Cacolac, et j'opte pour ce dernier. Le sommelier se retire avec un sourire : "Monsieur est un connaisseur", ce que je sais, donc je le lui dis.
    Au bout d'une petite demi-heure, alors qu'un autre client est déjà arrivé, mon plat arrive sur un plateau de carton. Toujours cette simplicité qui fait le renom des grandes maisons. Nous en avons soupé des minauderies, et nous voulons de la bouffe consistante et qui tienne au corps, envoyée au lance-pierre par des garçons aux ongles pleins de crasse. Ce soir-là, je suis servi.
Je goûte mon plat, mais je le recrache aussitôt : le réchauffage au micro-onde a l'inconvénient de garder les plats brûlants trop longtemps. Au bout d'un quart d'heure, alors que mon commensal est parti, par impatience d'être servi, et en me traitant de "vulgaire lèche-cul" au passage, je peux regoûter à mon petit plat. Hummm, que c'est bon. Je bouffe, je bouffe, jusqu'à ce qu'il n'y ait rien dans l'assiette. Après quoi je monte sur la table et je lèche l'assiette, tout en picorant tout ce que j'ai eu la mignonneté de semer ici et là. Je demande une nouvelle corbeille de pain, on me l'apporte sans trop grogner. Je demande un chalumeau pour boire mon cacolac, mais on me rit au nez. Apparemment, c'est l'heure de la fermeture. On rembarque mon verre de cacolac, mais j'ai soif. Je commence à protester, et on me présente l'addition. C'est un peu cher, mais bon, il faut ce qu'il faut. D'ailleurs je m'en suis mis jusque là, alors de quoi je me plaindrais ?
Je sors, dans le froid du parking d'autoroute, pris d'une violente mélancolique.
En conclusion, ne manquez pas d'aller au Gratin de nouilles, n'hésitez pas à vous recommander de moi, Modeste Mignon. Ne le dites pas comme ça, ils ne connaissent pas encore mon nom. Parlez du petit lapin qui a souillé l'entrée l'autre jour, et qui a abandonné sur place sa chaussette Cacharel. Bon appétit !
Au gratin de nouilles
Autoroute A6,
Aire du Grand Mouflon,
du mardi au dimanche,
repas servis en continu,
compter 200 francs, boisson et corbeille de pain non comprises.


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