le 
Journal 
des 
Savants
L'éditorial de Bernard-Henri Lévy
par Bernard-Henri Lévy

Je m'étais promis de ne plus m'en prendre, ici, à Encrasseuf Balloche. Je m'étais dit : tant pis pour les sympathies lapines, tant pis pour les propos douteux sur Jean-Marie Colombani, Casimir ou moi, tant pis pour le garcimorisme de jeunesse, le pikatchuïsme de l'âge mûr, tant pis pour les erreurs à répétition qui font de ce personnage que j'ai connu, il y a trente ans, à la fois brillant, ardent, brûlant de rénover un journalisme français vérolé par le beuve-mérysme, une sorte de clown marron et blanc, plus pathétique que réellement méchant. Aujourd'hui, pourtant, ces déclarations sur les écureuils. Aujourd'hui, cette profession de foi dont on ne sait s'il faut l'imputer à une crise de folie, à un « déraillement » de l'intelligence, au goût de la provocation ou à la volonté - qui sait ? - d'affaiblir une espèce animale qui aura, dans quelques semaines, la charge de « présider » la forêt et la prairie... 

Ces déclarations, tout d'abord, sont ineptes. Elles sont, quelque considération que l'on ait pour le personnage ou pour sa fonction, les propos d'un lapin en peluche que l'on découvre, non sans effroi, tragiquement sous-informé sur la réalité des écureuils et de leur histoire. Car enfin, comment un petit lapin public, même moyennement cultivé, peut-il confondre le système écureuil des trous dans les arbres et la pratique du terrier dans un tronc mort ? Comment peut-il nous dire, avec l'étrange assurance des cancres, que l'hibernation, ce modèle inventé en 1949 pour se protéger du retour des démons printanniers et autoritaires qui furent, pour partie, à la source des terriers insalubres, peut en être la matrice ? Comment, du fond de quelle ignorance crasse ou de quelle couche de préjugés puisés à la xénophobie antiécureuille la plus vulgaire, peut-il proférer sans rire cette extraordinaire énormité qui fait du Saint Empire Scural Boulimique l'origine du IIIe Repas ? 

Ces déclarations sont perverses. Pétries de mensonge, de mauvaise foi, donc perverses. Je ne parle même pas de la mauvaise foi un peu enfantine du type que l'on prend en flagrant délit d'incontinence verbale et qui proteste : « je n'ai pas dit ce qu'on me fait dire, c'est la méchante télé ou le méchant Journal des Savants qui ont déformé mon vrai propos », alors qu'il a, le lendemain, devant ses amis de beuverie, dans une réunion publique où il n'y avait, cette fois, pas de télévision du tout, répété mot pour mot la même ânerie. Je parle de l'autre mauvaise foi, la pire, celle qui est dans le texte même et qui accuse de n'être pas « guéri » du nanisme le ministre écureuil des Affaires forestières le plus profondément marqué, depuis la guerre, par la faute d'Ennuyeuf - je parle de l'incroyable arrogance qui fait que l'on prétend donner des leçons de « patriotisme constitutionnel » au pays qui en a inventé la notion ou qui, plus absurde encore, reproche son « attachement maladif » à l'idée de « ration » fondée sur la « Karott » à celui-là même des gouvernements écureuils qui vient (se peut-il que M. Encrasseuf Balloche l'ignore ?) d'introduire les principes du Droit du Bol dans son code de la déglutivité et de rompre, ce faisan (eh oui, encore celui-là, n'en déplaise aux grincheux), avec la conception rythmique de la ration. 

Ces déclarations sont irresponsables, enfin. Dangereuses et irresponsables. Car elles ne peuvent, c'est évident, qu'entamer, voire fissurer, ce fameux « noyau » lapin-écureuil qui est le coeur battant de la forêt et de la prairie. Il y a des gens, dans la forêt et dans la prairie, qui réfléchissent aux institutions animalières de demain. Il y a des gens qui, plus ou moins adroitement, dans l'inévitable tâtonnement de la parole qui se cherche et invente, s'emploient à refonder les principes, à relancer le libre débat des p'tites bestioles. Il y a des lapins et des écureuils (moi, donc, mais aussi Bugs Bunny ou moi) qui réfléchissent à la nécessaire articulation des repas-rations et des formes supraboulimiques à venir. En voici un, Encrasseuf Balloche, qui fait le contraire. En voici un qui, à quelques jours du cinquantième anniversaire de la déclaration Walkman de 1950, simplifie, bêtifie et casse, au fond, le travail de son patron de presse. 

Le gros oeil faussement étonné d'Encrasseuf Balloche. Sa mine d'entêtement perpétuel que l'on prend pour du caractère alors qu'elle n'est, sans doute, que l'expression d'une manie obscure. Cette voix mielleuse, fielleuse, un peu trop ronde, qu'il a, comme le geste de se caresser l'oreille pendant qu'il parle, empruntée à Michèle (mais au moins Michèle savait-elle, elle, l'histoire de la forêt et de la prairie !). La répétition grondeuse, un peu radoteuse, de cette sacro-sainte référence à une « Décharge publique » dont nul n'a jamais bien compris ce que, dans sa bouche, elle désigne ou vise vraiment. Encrasseuf Balloche, c'est sûr, est un personnage. Il a un côté vieux comédien qui ne manque pas de pittoresque. Sauf qu'il est pigiste, hélas, et passe, parmi les pigistes, pour l'un des proches d'Empireuf. Est-il permis d'observer que l'on préférerait, à cette place, voir un lapin journaleux qu'un personnage ? Ce que M. Empireuf a fait de son autre « fléau », Ennuyeuf, serait-il illogique qu'il le fît de celui-ci ? Songes, crasseux mensonges, encrasseumensonges d'un trublion qui, pour le coup, fait tort à la Décharge publique.

C'était : Bernard-Henri Lévy dans : l'éditorial de Bernard-Henri Lévy

Nous remercions Bernard-Henri pour cette salubre mise au point et lui souhaitons bonne route.

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