DEBAT:
Y A-T-IL UN DEVOIR DE MEMOIRE DE L'EAU ?


Le professeur Lanzmann n'a pu se joindre à nous, s'étant malencontreusement foulé le cerveau en réfléchissant très fort ce matin. Nous le regrettons vivement, et lui souhaitons un prompt rétablissement. Ne faites pas d'effort inutile surtout professeur. Quant au professeur Benvéniste, il boit apparemment autre chose que de la flotte, car il a complètement oublié de venir. Qu'il en soit ici insulté. Le débat peut très bien se faire entre nous, Andouilleuf et Empoteuf.
Andouilleuf : L'autre jour je buvais un verre d'eau quand tout à coup paf ! impossible de me souvenir de la capitale du Honduras.

Empoteuf : Tegucigalpa ?

Andouilleuf : Ah oui c'est vrai. Vous croyez vraiment, vous, que l'eau sert à oublier ses chagrins ?

Empoteuf : C'est ce qu'on raconte un peu partout. Mais certains disent rigoureusement l'inverse : selon eux, l'eau sert justement à avoir une mémoire. Par l'intermédiaire d'ondes encore inconnues, l'eau se souvient mystérieusement de ce à quoi on l'a mêlée.

Andouilleuf : Tout cela ne nous dit pas si c'est une nécessité. Qu'en est-il du travail du Comité d'éthique sur ce point ?

Empoteuf : La création d'écoles de l'eau est en bonne voie. On va apprendre à l'eau à se souvenir.

Andouilleuf : Mais comment comptez-vous vous y prendre concrètement ? Vous êtes l'un des instigateurs de ce projet de progrès, non ?

Empoteuf : Oui... Tout ça n'est qu'à l'état d'ébauche. En fait, pour l'instant c'est moi qui cogite tout seul dans ma petite tête, et dès que j'aurais fini je préviendrai qui de droit.

Andouilleuf : Alors, racontez.

Empoteuf : C'est bien simple. Les grosses masses d'eau sont principalement situées dans l'océan, comme vous le savez. C'est par eux qu'il faut commencer. Les molécules d'eau seront toutes retournées de voir qu'on a éduqué une si grande quantité de leurs soeurettes.

Andouilleuf : Prenons l'océan Atlantique. Quel sera le cours ?

Empoteuf : Très simple. On va y plonger Serge Klarsfeld tous les milles marins. Enfermé dans un scaphandre, on le descendra à plusieurs profondeurs, jusqu'à ce que les couches d'eau soient bien imprégnées de sa personnalité et de sa Mémoire. En surface, on psalmodiera le nom de tous les déportés et résistants français, en particulier des enfants. Ca, il faut qu'elle le sache l'eau. Pour que plus jamais ça.

Andouilleuf : On a beaucoup parlé ces temps-ci de l'immense responsabilité de l'eau dans les rafles des années noires. Où en est la recherche actuellement ?

Empoteuf : La responsabilité de l'eau est écrasante ! On a évalué que le quart des rafles et des exécutions sommaires se faisait par jour de pluie. Plusieurs arrestations ont eu lieu juste à l'issue d'un bain.

Andouilleuf : Tiens tiens, comme par hasard.

Empoteuf : Enfin si ça ne suffisait pas, certaine ville est bien connue pour ses eaux thermales et minérales...

Andouilleuf : Bigre, mais c'est vrai. Comme si on allait s'installer dans des villes symboles comme ça.

Empoteuf : S'il n'y a pas participation active au crime, la complicité me semble établie. L'eau s'est conduite de façon monstrueuse et elle mérite une bonne leçon.

Andouilleuf : Un bon gros procès de 6 mois ne serait-il pas une bonne leçon collective de Mémoire ?

Empoteuf : Oui, j'y pense sérieusement. J'ai déjà placé sous séquestre une bouteille de Perrier. Je ne me lave plus, par peur des représailles. Ou alors, je me lave dans le vin rouge et la moutarde. Remarquez ça me donne de belles couleurs.

Andouilleuf : Très juste. Et à quel châtiment penseriez-vous ?

Empoteuf : Arno m'a dit qu'à son avis la perpétuité était de trop. Lui pense à une peine graduée.

Andouilleuf : C'est trop peu. Il faut qu'elles paient, ces ordures de molécules.

Empoteuf : C'est aussi ce que je pense. J'hésite plutôt entre une vaporisation, une glaciation, et une dénaturation chimique. Mais tout ça ne me plaît pas assez : je voudrais les entendre hurler de douleur, ces garces de collabos.

Andouilleuf : C'est là que nous retrouvons les thèses de Benvéniste.

Empoteuf : Exactement. Après avoir prouvé que l'eau se souvenait de tas de choses, il vient d'établir que l'eau passait son temps à bavasser sur des sujets futiles. Or qui sait quelle serait sa réaction si on la faisait souffrir ?

Andouilleuf : C'est à tenter.

Empoteuf : Non mais vraiment souffrir, hein ? Pas juste taper le verre d'eau avec le dos d'une cuiller à café, on est d'accord ?

Andouilleuf : Oh ben non, ça à mon avis c'est pas assez. Il faut qu'elle souffre le martyr. On mettra un porte-voix, et on l'entendra glapir comme une damnée, et puis on...

Empoteuf : Ah s'il vous plaît, pas de sadisme quand même. Ca dénaturerait la Cause.

Andouilleuf : Bon je vais faire un effort. Alors, par où on commence ?

Empoteuf : Portons plainte, et trouvons des petits-enfants de victimes arrêtées par temps de pluie.

Andouilleuf : Il fait beau à Mériadeck, d'habitude ?


Eh bien merci messieurs, continuez donc hors micro, et à bientôt pour un nouveau débat passionnel.
Prochain thème : "Paris ou la province : y a-t-il une troisième voie ?" Avec Mlle Jeune-Gueule, mère de famille lotoise.


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