CULTURE :
STANISLAS NORDEY, L'INCOMPRIS
par Enchanteuf,
Nouveau venu.

Stanislas Nordey, en dépit de ses occupations immenses, a accepté de nous recevoir dans son discret loft d'artiste installé au sommet de son coquet Théâtre de Saint-Denis. Le courageux metteur en scène et directeur de ce théâtre public subventionné répond à nos questions les plus citoyennes qui soient.

Enchanteuf : Alors Stan qu'est-ce qui se passe avec les méchants médias et le méchant ministère de la Culture ?

Stan : Mais je sais pas, euh. Qu'est-ce qu'ils me veulent, nom de nom ? Moi je gère un théâtre citoyen. Les résultats sont là. Depuis que j'ai pris la direction du théâtre de Saint Denis, toute la population rapplique pour voir mes spectacles à 50 balles.

- D'habitude dans la locution on dit "à deux balles". Bon, il faut expliquer la situation aux lecteurs. Alors depuis quand êtes-vous à la direction de ce théâtre ?

- Euh, ben, attends, un mois... deux...

- J'ai fait le compte, vous êtes là depuis janvier 1998. D'emblée vos déclarations ont été fracassantes : "je veux faire un théâtre citoyen", "le théâtre citoyen c'est chouette", "mon ambition est que le spectateur citoyen sorte de la salle en étant encore plus citoyen qu'en entrant", etc. Avant, on ne disait pas citoyen, on disait contribuable. Est-ce pour cette raison que vous avez décidé de faire payer vos frasques par l'impôt public ?

-Mais ce ne sont pas des frasques ! Mon théâtre est ouvert tous les jours de l'année (340 jours par an). Un de mes moments préférés c'est quand j'arrive le matin à 9h00 au théâtre et que j'allume les lampes du bar. Comme ça, le Dyonisien citoyen qui va au boulot il se dit que le théâtre est avec lui, ça le réconforte. D'où mes déclarations.

- Vous ne répondez pas vraiment à ma question, mais au sujet des lumières du bar, j'ai recueilli dans la population des réactions contrastées. "C'est à 9h qu'ils commencent ces fainéants, moi je suis debout dès 6h00!", "Tiens, comme par hasard ils commencent par allumer le bar, ces ivrognes", "Tu as vu, ils ont installé un déclencheur automatique de lumières dans ce théâtre foireux. Sans doute qu'ils craignent les voleurs ? En tout cas ça explique où sont passés les 30 millions de francs..." Ce qui nous ramène aux petites bêtises budgétaires...

- Pfffooou... Broutilles citoyennes, sans plus. Mon budget est trop petit. Le monde est trop étroit pour des gens comme nous. Les citoyens n'aiment pas être corsetés.

- Mais tout de même, vous aviez une dotation de 20 millions, vous avez un déficit de 10 millions. Le plus nul comptable aurait vu venir le désastre, non ?

- C'est démago. Tu crois que les amateurs citoyens de théâtre vont marcher ? Qu'est-ce que c'est dix millions, d'abord ? Une poignée d'euros. Alors....

- Evidemment vu sous cet angle... Mais vous savez ce qu'on dit : cet argent va priver d'autres théâtres qui eux n'ont pas le relais des médias et qui font attention à la gestion. Vous trouvez ça normal ?

- Ils n'ont qu'à faire comme moi : embaucher la fille d'un ancien ministre de la Culture encore très puissant, et claquer le fric citoyen sans vergogne. D'ailleurs c'est des jaloux.

- Parlons d'autre chose, c'est à dire de vos talents de metteur en scène. Vous êtes toujours fier d'être en haut de ce que le Canard Enchaîné a appelé "l'échelle de Nordey", échelle qui mesure le caractère chiantissime des spectacles ?

- Assez fier. Mais j'ai beaucoup de concurrence à la Comédie française. Il y a Anne Delbé, et puis Eric Ruf qui se met à monter des choses, sans parler d'Eric Vigner qui me talonne. Bon sang qu'est-ce qu'on s'emmerde chez eux ! Un vrai succès citoyen. Alors pour être conforme à ma réputation, je prépare actuellement une adaptation de la Comtesse d'Escarbagnas.

- Cette petite comédie en un acte ?

- Exact. Ca durera 24 heures pleines. Des récitants viendront toutes les heures lire une déclaration sur les sans-papiers non régularisés. Au premier plan on célèbrera des baptêmes citoyens. Le Club des Barbus de Nanterre a déjà réservé des places dans la distribution. Dans le fond de la scène, on projettera des images des camps de concentration et de la guerre de Bosnie, où les Irakiens ont débranché les couveuses vietnamiennes.Le rôle titre sera tenu en alternance par Jeanne Moreau et Roseline Bachelot, avec relais toutes les deux heures. Ca va être du tonnerre. Les répétitions citoyennes ont déjà commencé. Valérie a déjà dit que son Papa adorait.

- Et Molière dans tout ça ?

- Oh, il y aura le résumé de cette tragédie citoyenne affichée à l'entrée. C'est pas la peine de s'encombrer l'esprit de ce texte. Les citoyens ont bien d'autres préoccupations, croyez-moi, avec les soviétiques en Afghanistan et les Américains au Panama, sans parler des accords du GATT. 

- Merci beaucoup, Stan, pour ces utiles précisions. Et toute la rédaction se joint à moi pour vous dire M****, hin hin hin!

- Merci Enchanteuf. Alors c'est toi le nouveau du Journal des Savants ? Dis donc, tu fais vieux pour un nouveau. Tu reprends une goutte de pastis ? Oh dis, j'ai pas allumé les néons du bar pour rien non? Allez, à la tienne !

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