On se plaint souvent
de s'ennuyer mortellement à Bourg-en-Bresse. A part les parties
de baby-foot en bouffant du poulet et du bleu d'Auvergne, il semble que
la ville n'offre que de rares distractions culturelles à sa jeunesse.
Sans compter que se tartiner du bleu en tournant les manettes, c'est loin
d'être évident.
Aussi le maire
de la jolie bourgade médiévale a-t-il décidé
de lancer un grand festival d'été. "Les jeunes et les
touristes en ont assez de s'ennuyer ici" nous a-t-il déclaré
sous couvert d'anonymat. Or, les élections municipales approchent,
et monsieur le maire a envie de remettre ça. Très momentanément
épargné par le scandale du marché public de l'eau
de ville, et déjà mis en examen sous le chef d'inculpation
d'homicide volontaire du petit Abdelkader, tombé dans un trou d'égoût
dont la plaque avait été déplacée sournoisement,
monsieur le maire ne dissimule pas que la population le déteste.
"Ces électeurs sont méprisables" nous a-t-il confié,
"vous leur donnez ça, ils vous demandent ça". C'est
donc sans rancune apparente que monsieur le maire a inventé le grand
festival de marionnettes de Bourg-en-Bresse. A peine en avait-il suggéré
l'idée au conseil municipal que ses affidés se pâmèrent
en hurlant au génie.
C'est donc toute
une ville qui va renaître de sa torpeur périgourdine à
l'occasion de ce grand instant de culture et de fraternité. Déjà,
des troupes immenses de marionnettes déguenillées convergent
vers la cité bourguignonne en de prodigieux cortèges. Car
le bruit s'est bien vite répandu, parmi nos amies marionnettes,
qu'un maire avait enfin le cran de les accueillir à bras ouverts,
au lieu d'édicter des arrêtés anti-marionnettes, comme
nos édiles ont pris la malheureuse habitude de faire. Des quatre
coins de l'hexagone, les millions de marionnettes qui d'ordinaire se terrent
loin des regards méprisants se sont passé le mot, et accourent
ventre à terre. Tant pis si aucune infrastructure n'était
prête, et si aucun spectacle n'a encore été répété
ni même écrit, car l'important, comme à Avignon, c'est
de pouvoir bientôt dire: moizaussi, j'y étais.
On annonce le
premier spectacle pour dans dix jours. "Il serait temps!" nous a
confidentiellement dit Mme Perluche, adjointe au maire. "Ces marionnettes
sont partout. Depuis qu'elles sont là, c'est bien simple, les statistiques
de délinquance ont explosé. A ce rythme, l'autre imbécile
peut faire une croix sur sa réélection."
Le festival,
il est vrai, ne semble pas faire l'unanimité sinon contre lui, hormis
rue de Valois. "Elles sont partout", "On ne peut plus
circuler dans les rues", "Mon étal de confiseries
est tous les jours pillé", "Quand est-ce qu'on mange?",
"L'hôtel
est complet Monsieur Andouilleuf et c'est pas la peine de me montrer votre
carte de presse j'en ai rien à battre en plus ça se voit
que c'est un faux" sont les propos qu'on entend le plus souvent parmi
les petits commerçants. Il est vrai qu'à la décharge
de ces frileux, qui ont sans doute dû voter "non" à Maëstricht,
les méthodes d'hébergement des petits protégés
du maire ne laissent pas de surprendre. Par décret, on a en effet
procédé à l'expulsion des habitants du centre-ville,
qui ont été enfermés dans un parc à Schtroumpfs
non loin de là. Dans les appartements vidés, on a installé
des milliers de petits chapiteaux à marionnettes. Les travaux sont
en passe d'être terminés, et si le centre de Bourg-en-Bresse
a désormais fière allure, tout pavoisé d'oriflammes,
de banderoles et de petites marionnettes s'agitant aux fenêtres,
il n'en reste pas moins que certains habitants se lassent de jouer au Toboggan
du Schtroumpf Marrant, l'attraction phare de parc à thèmes.
"Quand allons-nous rentrer chez nous," demande une mère de
famille inquiète, "à temps pour les vendanges?" Un
autre s'interroge gravement: "Toutes mes provisions de poulet et de
bleu d'Auvergne vont y passer, puisque j'ai oublié de remettre le
cadenas au frigo avant l'invasion de cette vermine."
Interrogé
sur ce sujet délicat, monsieur le maire nous a répondu: "Ces
grincheux ne sont jamais contents. Dès qu'on leur offre des distractions
saines et variées, ils regrettent leurs parties de baby-foot d'antan.
Et puis, les Schtroumpfs sont de la même couleur que leur infâme
frometon, alors? De toute façon j'ai le ministère derrière
moi."
Passés
les premiers instants d'inévitable énervement, gageons que
la population sera ravie du merveilleux spectacle que leur ville s'apprête
à offrir au monde entier. Il ne faudrait pas oublier, au milieu
de ces récriminations bien humaines et cuniculaires, mais bien basses,
que la culture prime le confort petit-bourgeois.
Pour ceux que
ça tente d'aller camper chez les Schtroumpfs pour voir quelques
guignolades, le festival commence le 25 août, et dure entre deux
et trois semaines. Pour ma part je ne pourrais pas en rendre compte, puisqu'on
me rappelle d'urgence à Paris. D'ailleurs le Grand Schtroumpf me
fait peur.
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du numéro 1