CINÉMA :
UN GÉNIE NOMMÉ KUBRICK

Par Empailleuf,

Nain de foire


la conspiration

Par quel scandale est-ce arrivé ? Comment une telle situation a-t-elle pu advenir sans que personne ne s'en émeuve ? Au Journal des Savants, nous savons bien qu'il ne faut pas céder à la théorie du complot, mais là, tout de même, il y a un peu trop de coïncidences. Car enfin, d'où vient cette conspiration du silence autour du dernier opus de Stanley Kubrick, qui sort aujourd'hui ? Si l'on considère la place que nos journaux de référence ont accordé au film depuis sa sortie aux États-Unis, on reste estomaqué devant tant de négligence à la limite de la bouderie. Le Monde n'y a ainsi consacré en deux mois qu'un peu plus de cinq pages, sans compter auparavant les articles-fleuves de nécrologie sur la mort de Dernier Grand Démiurge. Libération ? Un mince cahier particulier. Les Inrockuptibles, Télérama ? Un seul malheureux numéro spécial hors série ou presque. Quant à Modes et Travaux la question est vite réglée : nous n'y avons pas trouvé UNE seule ligne sur ce bijou d'opus qu'est pour l'éternité Eyes Wide Shut !! À quoi rime ce splendide cartel du mutisme ?

Un titre à problèmes

Au fait, maintenant que le titre est jeté, tant que j'y suis : certains se révulsent quand ils voient des titres de films laissés en anglais sans traduction, voire changés dans un anglais un peu particulier. Eh bien, moi je pense que c'est très, très bien comme ça. D'abord parce que ça fait travailler les langues étrangères. Et dans la mondialisation galopante qui déferle sur le monde mondial, personne ne peut se croire à l'abri d'avoir à recourir un jour à la langue de Shakespeare et Benny Hill. Ensuite, même si on ne comprend rien au titre, et qu'on ne profite donc pas des masses de cette méthode d'apprentissage, on mémorise les mots. On pourra même les glisser dans la conversation. Courante si besoin est. Même si ça n'est pas très bien venu, au moins ça viendra mal en anglais, et en aucune autre langue. J'ai moi-même essayé dans les boulangeries du quartier de l'Opéra (du moins dans celles où l'on ne parle pas uniquement japonais) de glisser ces quelques mots : "goodday, I want one like this and a eyes wide shut." Eh ben la boulangère m'a fait un grand sourire et m'a tendu deux croissants aux amandes. C'est ce que je préfère. En plus, elle m'a fait une réduction, et puis elle en a compté qu'un. Je devais pas être le premier à lui faire le coup du titre du Magistral Chef-d'Œuvre du Dernier Monstre Sacré. Je les ai mangés direct dans la boulangerie, sous le regard bienveillant de madame la boulangère. Après je suis sorti, j'en pouvais plus d'avoir tant mangé, et je me demande s'ils ne mettent pas de la crème pas très fraîche dans leurs trucs, là. Mais nous nous écartons du sujet.

Un ébouriffant thriller psychanalytique, mâtiné d'histoires d'amour

Stanley (appelons-le Stanley, c'est bien plus convivial) nous offre avec son ultime opus un spectacle magique pour les yeux. C'est à peine si de temps à autre une photographie particulièrement laide nous a poussé d'urgence vers les toilettes. Le tempo, comme toujours chez Stanley, est exquis. Les plans se succèdent, les personnages parlent…, c'est bien simple : pour un peu on se croirait au cinéma. Et pour les rares enchaînements à peu près pas trop abrupts ou qui ne ressemblent pas tout à fait à un vidéo-clip raté, on peut toujours se dire que le Divin Stanley n'a pas eu le temps de fignoler son difficile travail de montage. Et la musique !… Quel mélomane ne se sentirait pas comblé à entendre ces petits fragments délicieusement massacrés et juxtaposés, comme dans la meilleure des compilations TF1 présente : les Grands Maîtres de la musique classique ? J'ai été particulièrement sensible de retrouver dans ce Chef- d'Œuvre la Valse de Chostakovitch, que des créateurs d'inspiration presque aussi grandiose et noble avaient révélée à la France entière, en s'en servant pour la réclame d'une mutuelle fameuse. C'est aussi simple que le bonheur : à la sortie, on était tout content de retrouver sur les visages épanouis le mélange du cinéphile et du mélomane comblés. Que n'entendait-on pas, entre des sifflotements et des questions du type "c'est dans quoi déjà cette rengaine insupportable ?" pour louanger ces deux heures de bonheur ? "T'as trouvé ça comment ?", "Bof !", "Heureusement que c'était son dernier" "Ben dis donc ça m'étonne pas que ça ait fait un bide là où c'est sorti", etc.

Ma conclusion de nain

En conclusion, précipitez-vous tous pour voir cette "comédie dramatique", comme dit si joliment notre confrère l'Officiel des Spectacles. Si nous sommes les seuls à vous en parler, qu'au moins nous en parlions bien. Mais je ne me fais pas de souci : de telles œuvres ne peuvent que rencontrer dans notre bon pays un succès triomphal, à la mesure de l'excellence de sa presse cinéphilique, même quand elle n'est pas silencieuse de manière délirante. Vive les opus !



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